Saïd Aydi, ministre tunisien de l'emploi et de la formation professionnelle, dresse pour L’Usine Nouvelle un état des lieux de son pays.
Agé de 50 ans, Saïd Aydi, polytechnicien, a été notamment DRH d'IBM pour l'Afrique francophone, entrepreneur et PDG pour l'Afrique du nord et le Moyen Orient de la société HR access solution. Il est entré au gouvernement de transition tunisien en janvier, dès le lendemain de la révolution. L'Usine Nouvelle l'a rencontré lors de son passage à la World Investment Conference qui se tient à la Baule cette fin de semaine.
L'Usine Nouvelle - Quelle est la situation de l'emploi en Tunisie ?
Saïd Aydi - Quand j'ai pris mon ministère en janvier, il y avait 520 000 demandeurs d'emplois dont 140 000 diplômés de l'enseignement supérieur. Du fait de la révolution et l'impact des évènements de Libye, ce chiffre est passé à 600 000 chômeurs, dont 175000 diplômés de l'enseignement supérieur. Au point de départ, le taux de chômage était de 13,2%, aujourd'hui nous sommes à 17% en incluant les personnes rentrées de Libye. Dans certaines régions, ce taux est de 40% notamment pour les diplômes du supérieur. Bien sûr c'est inacceptable, mon objectif est de développer l'employabilité et adapter les filières de formation initiale par rapport aux besoins du marché de l'emploi à moyen et long terme. Nous voulons aussi réformer le système de formation professionnelle aujourd'hui très dépendant de l'état en faisant émerger des acteurs privés dans ce domaine en coordination avec le secteur public. Mais, il y aussi des mesures rapides à trouver.
Que pouvez faire, car certains secteurs sont très touchés comme le tourisme?
Toute la démarche de notre gouvernement, notamment de mon ministère, c'est d'avoir en ligne de mire la reprise de l'économe et s'y préparer. Cette année la Tunisie devrait connaître entre 0% et 1% de croissance, mais on estime pouvoir revenir à un taux de croissance en 12 mois glissant de 5 à 6% à partir du quatrième trimestre.
Nous voulons utiliser cette période au mieux en matière de formation en ciblant notamment les personnes au chômage mais pas forcement employables, et donc bâtir des filières de reconversion sur des filières à fort contenu d'emploi. Nous prévoyons de lancer des projets pilotes par exemple dans l'économie du savoir pour stimuler les créations d'emploi et accompagner la reprise. C'est notamment le cas dans les TIC donc, dans la logistique, l'agro alimentaire et aussi bien sûr le tourisme.
Sur ce point nous ne voulons plus dépendre autant du tourisme de masse sur les côtes. Il faut miser aussi sur l'éco tourisme, le tourisme intérieur et le segment des séminaires. Derrière cela il y a la possibilité de développer l'artisanat et le petit entrepreneuriat. Il y a des perspectives aussi dans les métiers de la santé (tourisme médical), l'énergie, l'environnement.
Tout cela demande des moyens...
Oui bien sûr. La Tunisie a eu un premier niveau de soutien de nos partenaires la France via l'Afd, l'Europe, les Etats unis, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, soit environ 2 milliards de prêts mais ce n'est pas suffisant.
Le gouvernement de transition a bâti un plan de soutien économique et social sur 5 ans présenté au G8 à Deauville. L'objectif est d'obtenir des financements et des dons pour un total chiffré à 25 milliards de dollars. Notre pays et notre peuple le méritent. La révolution tunisienne fera date dans l'histoire si elle réussit, mais dans le cas contraire aussi, car cela pourrait retarder l'intégration de toute la zone euro méditerranée.
Quels sont les axes de réformes ?
Les points principaux de notre plan sont l'amélioration de la gouvernance, le développement du capital humain en vue de répondre aux besoins des entreprises, la modernisation du système financier, la mise en place d'un cadre législatif ouvert aux investisseurs étrangers et tunisiens et enfin un plan ambitieux d'accélération des investissements dans les infrastructures.
Le secteur que l'on doit moderniser en priorité, c'est celui de la finance et des banques. L'objectif est que la finance soutienne l'économie et l'investissement en sachant gérer ses risques et l'utilisation des fonds avec des règles de bonne gouvernance. On prépare donc la mise sur pied d'une caisse des dépôts et un fond générationnel. Ce fond combinera des investisseurs publics et privés y compris étranger pour soutenir des secteurs à forte employabilité comme les TIC, le tourisme, la R&D...
L'économie peut-elle repartir, notamment au vu des troubles sociaux ?
C'est déjà le cas, notamment des exportations. J'étais moi même alors chef d'entreprise et dès le lendemain de la révolution nous avions repris le travail. Certains secteurs restent affectés comme le tourisme et aussi la distribution qui était noyauté par les familles liés au pouvoir et a souffert de saccages. Bien sûr il subsiste des revendications sociales mais toutes les sociétés qui étaient respectueuses du droit social, soit la très grande majorité, n'ont pas souffert de troubles durables. Certaines entreprises connaissaient encore récemment des tensions sociales comme British Gas même si ce groupe se comportait dans les règles, mais grâce au dialogue les difficultés sont en voie d'être surmontées.
La Tunisie redeviendra-t-elle une terre d'accueil pour les investissements étrangers ?
Elle l'a été, et elle le sera toujours. Contrairement à ce que l'on pense, il n'y a pas eu de rupture de discussions avec les investisseurs européens ou américains. Aucun n'a décidé de se retirer de Tunisie, même si certains ont suspendu leurs projets. Mais on continue à passer des dossiers à la commission supérieure de l'investissement dans le domaine des TIC, des composites, de l'agro alimentaire, de l'énergie, l'automobile ou l'aéronautique, notamment avec Aerolia avec qui je travaille par ailleurs sur la formation.
Le code investissement est réellement attractif. Il faut mettre en place une bonne gouvernance du pays et réformer l'administration pour que la Tunisie devienne pleinement un état de droit. Les textes existent il faut les dépoussiérer un peu et les appliquer de manière efficience. Ce qui est nouveau c'est que la Tunisie sera un pays d'accueil aussi pour les investisseurs tunisiens qui étaient confrontés à un système mafieux.
En définitive, vous êtes optimiste sur l'avenir de votre pays ?
Bien sûr ! Il faut aller en Tunisie, on peut y faire des affaires. Le pays et le peuple le méritent. Qu'est ce qu'on risque en Tunisie? On risque de gagner ! La Tunisie dans le monde arabe a toujours été en avance sur l'éducation ou le droit des femmes par exemple. Et c'est le premier pays arabe à avoir renversé pacifiquement un dictateur. Je suis très optimiste même s’il faudra du temps et du travail pour redresser le pays. Vu la manière dont s'est passée cette révolution, on n'a pas le droit d'échouer.
Le peuple est en forte attente, cela est il compatible avec les cycles économiques forcement plus lents ?
C'est un défi mais on peut y parvenir. La première chose que le peuple demande c'est la dignité et le dialogue. Ce pays a beaucoup d'atouts et se conduit de façon admirable. A ce titre regardez ce qui s'est passé sur la frontière libyenne. Nous avons accueilli 350 000 migrants que ce soit de réfugiés libyens (près de 100 000) ou les populations de travailleurs en transit, pris en charge par des familles tunisiennes dans un élan de générosité extraordinaire. Cela démontre le niveau de culture et d'éducation des tunisiens grâce au choix clair fait lors de l'indépendance de miser sur l'éducation.
L'assainissement des circuits économiques sera long et complexe...
Pas tant que cela. Ce qui s'est passé depuis vingt ans et surtout la dernière décennie était devenu réellement insupportable : la famille Ben Ali était dans une logique mafieuse et spoliatrice. Après la révolution, il y a eu confiscation de tous les biens liés à la famille, soit une centaine de personnes, et restitution de ces biens. En Tunisie, l'exécution a été simple, c'est un peu plus compliqué à l'étranger. Ce qui a été spolié à des individus reviendra à des individus. Ce qui a été spolié à l'état reviendra à l'état notamment les terrains, le reste reviendra au peuple à travers un fond.
Un report des élections ont été évoquées. Se tiendront-elles à la date prévue fin juillet ?
Le gouvernement vient de confirmer avant hier la date du 24 juillet. C'est vrai que cela pose des problèmes technique mais la logistique n'a pas à l'emporter sur la politique. L'enjeu, historique, est d'organiser des élections dans la transparence. Il y a eu un engagement du président de la république par intérim le 3 mars et nous mettons tout en oeuvre pour tenir cette date.
Le 27 mai 2011 par Pierre-Olivier Rouaud
http://www.usinenouvelle.com/
Agé de 50 ans, Saïd Aydi, polytechnicien, a été notamment DRH d'IBM pour l'Afrique francophone, entrepreneur et PDG pour l'Afrique du nord et le Moyen Orient de la société HR access solution. Il est entré au gouvernement de transition tunisien en janvier, dès le lendemain de la révolution. L'Usine Nouvelle l'a rencontré lors de son passage à la World Investment Conference qui se tient à la Baule cette fin de semaine.
L'Usine Nouvelle - Quelle est la situation de l'emploi en Tunisie ?
Saïd Aydi - Quand j'ai pris mon ministère en janvier, il y avait 520 000 demandeurs d'emplois dont 140 000 diplômés de l'enseignement supérieur. Du fait de la révolution et l'impact des évènements de Libye, ce chiffre est passé à 600 000 chômeurs, dont 175000 diplômés de l'enseignement supérieur. Au point de départ, le taux de chômage était de 13,2%, aujourd'hui nous sommes à 17% en incluant les personnes rentrées de Libye. Dans certaines régions, ce taux est de 40% notamment pour les diplômes du supérieur. Bien sûr c'est inacceptable, mon objectif est de développer l'employabilité et adapter les filières de formation initiale par rapport aux besoins du marché de l'emploi à moyen et long terme. Nous voulons aussi réformer le système de formation professionnelle aujourd'hui très dépendant de l'état en faisant émerger des acteurs privés dans ce domaine en coordination avec le secteur public. Mais, il y aussi des mesures rapides à trouver.
Que pouvez faire, car certains secteurs sont très touchés comme le tourisme?
Toute la démarche de notre gouvernement, notamment de mon ministère, c'est d'avoir en ligne de mire la reprise de l'économe et s'y préparer. Cette année la Tunisie devrait connaître entre 0% et 1% de croissance, mais on estime pouvoir revenir à un taux de croissance en 12 mois glissant de 5 à 6% à partir du quatrième trimestre.
Nous voulons utiliser cette période au mieux en matière de formation en ciblant notamment les personnes au chômage mais pas forcement employables, et donc bâtir des filières de reconversion sur des filières à fort contenu d'emploi. Nous prévoyons de lancer des projets pilotes par exemple dans l'économie du savoir pour stimuler les créations d'emploi et accompagner la reprise. C'est notamment le cas dans les TIC donc, dans la logistique, l'agro alimentaire et aussi bien sûr le tourisme.
Sur ce point nous ne voulons plus dépendre autant du tourisme de masse sur les côtes. Il faut miser aussi sur l'éco tourisme, le tourisme intérieur et le segment des séminaires. Derrière cela il y a la possibilité de développer l'artisanat et le petit entrepreneuriat. Il y a des perspectives aussi dans les métiers de la santé (tourisme médical), l'énergie, l'environnement.
Tout cela demande des moyens...
Oui bien sûr. La Tunisie a eu un premier niveau de soutien de nos partenaires la France via l'Afd, l'Europe, les Etats unis, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, soit environ 2 milliards de prêts mais ce n'est pas suffisant.
Le gouvernement de transition a bâti un plan de soutien économique et social sur 5 ans présenté au G8 à Deauville. L'objectif est d'obtenir des financements et des dons pour un total chiffré à 25 milliards de dollars. Notre pays et notre peuple le méritent. La révolution tunisienne fera date dans l'histoire si elle réussit, mais dans le cas contraire aussi, car cela pourrait retarder l'intégration de toute la zone euro méditerranée.
Quels sont les axes de réformes ?
Les points principaux de notre plan sont l'amélioration de la gouvernance, le développement du capital humain en vue de répondre aux besoins des entreprises, la modernisation du système financier, la mise en place d'un cadre législatif ouvert aux investisseurs étrangers et tunisiens et enfin un plan ambitieux d'accélération des investissements dans les infrastructures.
Le secteur que l'on doit moderniser en priorité, c'est celui de la finance et des banques. L'objectif est que la finance soutienne l'économie et l'investissement en sachant gérer ses risques et l'utilisation des fonds avec des règles de bonne gouvernance. On prépare donc la mise sur pied d'une caisse des dépôts et un fond générationnel. Ce fond combinera des investisseurs publics et privés y compris étranger pour soutenir des secteurs à forte employabilité comme les TIC, le tourisme, la R&D...
L'économie peut-elle repartir, notamment au vu des troubles sociaux ?
C'est déjà le cas, notamment des exportations. J'étais moi même alors chef d'entreprise et dès le lendemain de la révolution nous avions repris le travail. Certains secteurs restent affectés comme le tourisme et aussi la distribution qui était noyauté par les familles liés au pouvoir et a souffert de saccages. Bien sûr il subsiste des revendications sociales mais toutes les sociétés qui étaient respectueuses du droit social, soit la très grande majorité, n'ont pas souffert de troubles durables. Certaines entreprises connaissaient encore récemment des tensions sociales comme British Gas même si ce groupe se comportait dans les règles, mais grâce au dialogue les difficultés sont en voie d'être surmontées.
La Tunisie redeviendra-t-elle une terre d'accueil pour les investissements étrangers ?
Elle l'a été, et elle le sera toujours. Contrairement à ce que l'on pense, il n'y a pas eu de rupture de discussions avec les investisseurs européens ou américains. Aucun n'a décidé de se retirer de Tunisie, même si certains ont suspendu leurs projets. Mais on continue à passer des dossiers à la commission supérieure de l'investissement dans le domaine des TIC, des composites, de l'agro alimentaire, de l'énergie, l'automobile ou l'aéronautique, notamment avec Aerolia avec qui je travaille par ailleurs sur la formation.
Le code investissement est réellement attractif. Il faut mettre en place une bonne gouvernance du pays et réformer l'administration pour que la Tunisie devienne pleinement un état de droit. Les textes existent il faut les dépoussiérer un peu et les appliquer de manière efficience. Ce qui est nouveau c'est que la Tunisie sera un pays d'accueil aussi pour les investisseurs tunisiens qui étaient confrontés à un système mafieux.
En définitive, vous êtes optimiste sur l'avenir de votre pays ?
Bien sûr ! Il faut aller en Tunisie, on peut y faire des affaires. Le pays et le peuple le méritent. Qu'est ce qu'on risque en Tunisie? On risque de gagner ! La Tunisie dans le monde arabe a toujours été en avance sur l'éducation ou le droit des femmes par exemple. Et c'est le premier pays arabe à avoir renversé pacifiquement un dictateur. Je suis très optimiste même s’il faudra du temps et du travail pour redresser le pays. Vu la manière dont s'est passée cette révolution, on n'a pas le droit d'échouer.
Le peuple est en forte attente, cela est il compatible avec les cycles économiques forcement plus lents ?
C'est un défi mais on peut y parvenir. La première chose que le peuple demande c'est la dignité et le dialogue. Ce pays a beaucoup d'atouts et se conduit de façon admirable. A ce titre regardez ce qui s'est passé sur la frontière libyenne. Nous avons accueilli 350 000 migrants que ce soit de réfugiés libyens (près de 100 000) ou les populations de travailleurs en transit, pris en charge par des familles tunisiennes dans un élan de générosité extraordinaire. Cela démontre le niveau de culture et d'éducation des tunisiens grâce au choix clair fait lors de l'indépendance de miser sur l'éducation.
L'assainissement des circuits économiques sera long et complexe...
Pas tant que cela. Ce qui s'est passé depuis vingt ans et surtout la dernière décennie était devenu réellement insupportable : la famille Ben Ali était dans une logique mafieuse et spoliatrice. Après la révolution, il y a eu confiscation de tous les biens liés à la famille, soit une centaine de personnes, et restitution de ces biens. En Tunisie, l'exécution a été simple, c'est un peu plus compliqué à l'étranger. Ce qui a été spolié à des individus reviendra à des individus. Ce qui a été spolié à l'état reviendra à l'état notamment les terrains, le reste reviendra au peuple à travers un fond.
Un report des élections ont été évoquées. Se tiendront-elles à la date prévue fin juillet ?
Le gouvernement vient de confirmer avant hier la date du 24 juillet. C'est vrai que cela pose des problèmes technique mais la logistique n'a pas à l'emporter sur la politique. L'enjeu, historique, est d'organiser des élections dans la transparence. Il y a eu un engagement du président de la république par intérim le 3 mars et nous mettons tout en oeuvre pour tenir cette date.
Le 27 mai 2011 par Pierre-Olivier Rouaud
http://www.usinenouvelle.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire