Pourquoi la planète semble devenir folle, et comment faire pour y remédier.
Ce siècle sera celui des catastrophes. Tout comme le XXe siècle fut marqué par les guerres mondiales, les génocides et les conflits idéologiques exacerbés, le XXIe siècle sera le siècle des cataclysmes naturels, des crises technologiques et de l’alliance contre-nature des deux. Ce sera le siècle où, pour toutes sortes de raisons, ces choses sur lesquelles nous comptions nous feront défaut. ...
Pour les scientifiques, les éruptions solaires sont des catastrophes en puissance. C’est pour cette raison que l’une des sessions de la réunion annuelle de l’American Physical Society était consacrée à discuter des dangers des impulsions électromagnétiques (EMP) provoquées par les éruptions solaires ou les attentats terroristes. Ce genre d’impulsions pourraient griller les transformateurs et priver d’électricité la plus grande partie du pays. L’année dernière, le Oak Ridge National Laboratory a publié une étude affirmant que des années seraient nécessaires pour réparer les dégâts et que cela coûterait des milliers de milliards de dollars.
Et pourtant ce n’est peut-être même pas ça, la catastrophe qui devrait nous inquiéter. Nous aurions sans doute davantage de raisons, en effet, de nous faire du souci au sujet de l’ARkStorm. C’est le nom que le Multihazards Demonstration Project de l’US Geological Survey (USGS) a donné à une hypothétique tempête qui transformerait la plus grande partie de la Vallée centrale californienne en une gigantesque pataugeoire. Le phénomène s’est déjà produit, en 1861-62, lorsqu’il a plu pendant 45 jours sans interruption. L’USGS explique: «L’ARkStorm concentre la chaleur et l’humidité du Pacifique tropical, formant une série de rivières atmosphériques à la violence proche de celle des ouragans, qui vont aller se fracasser sur la côte ouest américaine pendant plusieurs semaines.»
La conséquence, selon l’USGS, pourrait être une inondation qui coûterait 725 milliards de dollars de dégâts directs liés à la perte de propriété et d’impact sur l’économie.
Pourtant, au cours du siècle qui nous attend, nous allons avoir l’impression que ces cygnes noirs et bien d’autres s’imposeront avec une étonnante régularité. Ce qui s’explique par plusieurs raisons. Nous avons fait le choix de manipuler la planète. Nous avons construit de vastes réseaux de technologies. Nous avons créé des systèmes qui fonctionnent très bien en général, mais restent vulnérables aux catastrophes. Il est de plus en plus difficile pour quiconque, que ce soit une personne, une institution ou une agence, d’appréhender tous les éléments interconnectés de la société technologique. Les pannes peuvent s’enchaîner. Il existe des points faibles non décelés dans le réseau. De petites pannes peuvent avoir de grandes conséquences.
Mais surtout, il y a beaucoup plus de gens, et beaucoup plus de choses, susceptibles d’être touchés par des catastrophes. Ce n’est pas qu’il y ait tout d’un coup davantage de tremblements de terre: nous sommes tout simplement sept milliards d’humains aujourd’hui, dont la majorité vivent en ville. En 1800, une seule agglomération comptait un million d’habitants: Beijing. Or, au dernier recensement, 381 villes atteignaient au moins ce chiffre.
Les catastrophes naturelles ne cesseront de s’accompagner de crises technologiques—et vice-versa. En mars, le tremblement de terre au Japon a déclenché la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi. L’année dernière, une faille technologique sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique a provoqué la crise environnementale de la marée noire. ...
Dans les deux catastrophes, celle de Deepwater Horizon et celle de Fukushima, les systèmes de sécurité étaient loin d’être aussi résistants que le pensaient les entreprises concernées. Quand ces accidents technologiques se produisent, il existe toujours de petits chemins bien cachés par lesquels des gremlins peuvent venir s’infiltrer. ...
La technologie permet aussi de réduire les conséquences des catastrophes, naturellement. Les pandémies restent une menace, mais la médecine moderne peut nous aider à garder une longueur d’avance sur les microbes en évolution. Les satellites et les modèles informatiques ont aidé les météorologues à anticiper les orages mortels du 27 avril et à avertir les gens de se mettre à l’abri des tornades.
Des règles de construction plus rigoureuses sauvent des vies en cas de tremblements de terre. Le Chili, dont le code de construction est très strict, a été frappé par un puissant séisme l’année dernière mais a déploré bien moins de morts et de dégâts qu’Haïti, pays plus pauvre, quelques semaines auparavant. ...
... il est clair que le réchauffement climatique va exacerber les catastrophes naturelles en règle générale ces prochaines années, et introduire un nouveau facteur de risque et d’incertitude dans un avenir qui en est déjà bien chargé. Nous n’avons vraiment pas besoin de ça. ...
Alors, si nous sommes incapables de trouver des solutions technologiques aux cataclysmes que notre technologie a provoqués, et si les catastrophes naturelles continuent de s’abattre sur nous comme elles le font depuis la nuit des temps, quelle stratégie adopter? Je veux dire, à part le désespoir? ...
Tout d’abord, nous pourrions essayer de confier la régulation à des gens qui n’ont pas d’intérêts financiers en jeu. Ce qui pourrait signifier, par exemple, des régulateurs gouvernementaux qui gagneraient autant d’argent que ceux qu’ils seraient chargés de réguler.
Ou bien un dispositif de régulateur privé qui contrôlerait le secteur, et sévirait contre les opérateurs voyous. En bref, nous ne voulons pas que toutes les décisions risquées soient prises par des gens qui auraient des intérêts financiers dans l’histoire.
Deuxièmement, il faut garder le sens des proportions: l’apparent déchaînement de cataclysmes ne présage pas la fin du monde. Gare à l’hystérie catastrophiste médiatique. Les catastrophes en série du XXIe siècle seront, dans une certaine mesure, une affaire de perception.
Troisièmement, il nous faut penser en terme d’amélioration de notre «résilience» sociétale. C’est le dernier mot à la mode dans le domaine de la préparation aux catastrophes. Pensez à ce que vous feriez, et à ce que ferait votre communauté, après un cataclysme. On ne peut pas toujours éviter le désastre, mais peut-être peut-on imaginer la manière de s’en remettre rapidement. Comment communiquerions-nous si une éruption solaire grillait les deux tiers du réseau électrique du pays? Quel moyen aurions-nous de savoir ce qu’il se passe d’ailleurs? Peut-être faudrait-il de temps en temps organiser un week-end «XVIIIe siècle» pour voir comment les gens arrivent à survivre deux jours sans électricité, sans antennes relais, ni câble, ni téléchargement iTunes ...
Mettez au point un plan d’urgence. Achetez des piles et des bouteilles d’eau pour commencer. Trouvez comment fonctionnent les choses autour de vous. Renseignez-vous sur l’infrastructure de votre communauté. Lisez des livres sur les sciences, les technologies et l’ingénierie, et ne vous inquiétez pas si le jargon vous échappe. Puis, une fois que tout cela sera fait, vivez votre vie, et cherchez le bonheur sur une planète qui, si elle est parfois dangereuse, est de loin la meilleure que nous ayons.
Joel Achenbach
Traduit par Bérengère Viennot
slate.fr
Dimanche 29 mai 2011
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Pour les scientifiques, les éruptions solaires sont des catastrophes en puissance. C’est pour cette raison que l’une des sessions de la réunion annuelle de l’American Physical Society était consacrée à discuter des dangers des impulsions électromagnétiques (EMP) provoquées par les éruptions solaires ou les attentats terroristes. Ce genre d’impulsions pourraient griller les transformateurs et priver d’électricité la plus grande partie du pays. L’année dernière, le Oak Ridge National Laboratory a publié une étude affirmant que des années seraient nécessaires pour réparer les dégâts et que cela coûterait des milliers de milliards de dollars.
Et pourtant ce n’est peut-être même pas ça, la catastrophe qui devrait nous inquiéter. Nous aurions sans doute davantage de raisons, en effet, de nous faire du souci au sujet de l’ARkStorm. C’est le nom que le Multihazards Demonstration Project de l’US Geological Survey (USGS) a donné à une hypothétique tempête qui transformerait la plus grande partie de la Vallée centrale californienne en une gigantesque pataugeoire. Le phénomène s’est déjà produit, en 1861-62, lorsqu’il a plu pendant 45 jours sans interruption. L’USGS explique: «L’ARkStorm concentre la chaleur et l’humidité du Pacifique tropical, formant une série de rivières atmosphériques à la violence proche de celle des ouragans, qui vont aller se fracasser sur la côte ouest américaine pendant plusieurs semaines.»
La conséquence, selon l’USGS, pourrait être une inondation qui coûterait 725 milliards de dollars de dégâts directs liés à la perte de propriété et d’impact sur l’économie.
Théorie du «Cygne noir»
... Tous ces événements ont en commun un degré de probabilité assez bas et des conséquences très graves: c’est la théorie du «cygne noir» Si ces événements sont imprévisibles, ils ne doivent pas vous empêcher de dormir pour autant. On ne peut pas vivre en ayant peur du soleil. Ni en étant épouvanté à l’idée qu’un caillou va tomber du ciel et fracasser la Terre, ni que la terre va s’ouvrir sous vos pieds et vous avaler tout rond. L’un des secrets pour ne pas devenir fou consiste à savoir ignorer les dangers hautement improbables à tout moment de la vie.Pourtant, au cours du siècle qui nous attend, nous allons avoir l’impression que ces cygnes noirs et bien d’autres s’imposeront avec une étonnante régularité. Ce qui s’explique par plusieurs raisons. Nous avons fait le choix de manipuler la planète. Nous avons construit de vastes réseaux de technologies. Nous avons créé des systèmes qui fonctionnent très bien en général, mais restent vulnérables aux catastrophes. Il est de plus en plus difficile pour quiconque, que ce soit une personne, une institution ou une agence, d’appréhender tous les éléments interconnectés de la société technologique. Les pannes peuvent s’enchaîner. Il existe des points faibles non décelés dans le réseau. De petites pannes peuvent avoir de grandes conséquences.
Mais surtout, il y a beaucoup plus de gens, et beaucoup plus de choses, susceptibles d’être touchés par des catastrophes. Ce n’est pas qu’il y ait tout d’un coup davantage de tremblements de terre: nous sommes tout simplement sept milliards d’humains aujourd’hui, dont la majorité vivent en ville. En 1800, une seule agglomération comptait un million d’habitants: Beijing. Or, au dernier recensement, 381 villes atteignaient au moins ce chiffre.
De plus en plus d'habitants dans des zones fragiles
Beaucoup sont des «mégapoles» aménagées dans des zones sismiques—Mexico, Caracas, Téhéran et Katmandou figurent au palmarès de celles qui associent une faiblesse d’infrastructure (des bâtiments à la maçonnerie non renforcée) et des fondations instables.Les catastrophes naturelles ne cesseront de s’accompagner de crises technologiques—et vice-versa. En mars, le tremblement de terre au Japon a déclenché la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi. L’année dernière, une faille technologique sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique a provoqué la crise environnementale de la marée noire. ...
Dans les deux catastrophes, celle de Deepwater Horizon et celle de Fukushima, les systèmes de sécurité étaient loin d’être aussi résistants que le pensaient les entreprises concernées. Quand ces accidents technologiques se produisent, il existe toujours de petits chemins bien cachés par lesquels des gremlins peuvent venir s’infiltrer. ...
Les risques du «cloud computing»
Charles Perrow, auteur de Normal Accidents, m’a confié que l’infrastructure informatique était un cataclysme en puissance. «Guettez les pannes du cloud computing», m’a-t-il prévenu dans un mail. «Elles auront des conséquences sur les systèmes de surveillance médicaux et dans bien d’autres domaines encore.»La technologie permet aussi de réduire les conséquences des catastrophes, naturellement. Les pandémies restent une menace, mais la médecine moderne peut nous aider à garder une longueur d’avance sur les microbes en évolution. Les satellites et les modèles informatiques ont aidé les météorologues à anticiper les orages mortels du 27 avril et à avertir les gens de se mettre à l’abri des tornades.
Des règles de construction plus rigoureuses sauvent des vies en cas de tremblements de terre. Le Chili, dont le code de construction est très strict, a été frappé par un puissant séisme l’année dernière mais a déploré bien moins de morts et de dégâts qu’Haïti, pays plus pauvre, quelques semaines auparavant. ...
Le rôle du réchauffement
Le réchauffement climatique est une inconnue dans le programme des catastrophes de notre siècle. Les blogs sont agités par d’énergiques débats autour de l’hypothèse que les récents événements climatiques (tornades, inondations) sont imputables au réchauffement de la planète. ...... il est clair que le réchauffement climatique va exacerber les catastrophes naturelles en règle générale ces prochaines années, et introduire un nouveau facteur de risque et d’incertitude dans un avenir qui en est déjà bien chargé. Nous n’avons vraiment pas besoin de ça. ...
Alors, si nous sommes incapables de trouver des solutions technologiques aux cataclysmes que notre technologie a provoqués, et si les catastrophes naturelles continuent de s’abattre sur nous comme elles le font depuis la nuit des temps, quelle stratégie adopter? Je veux dire, à part le désespoir? ...
Tout d’abord, nous pourrions essayer de confier la régulation à des gens qui n’ont pas d’intérêts financiers en jeu. Ce qui pourrait signifier, par exemple, des régulateurs gouvernementaux qui gagneraient autant d’argent que ceux qu’ils seraient chargés de réguler.
Ou bien un dispositif de régulateur privé qui contrôlerait le secteur, et sévirait contre les opérateurs voyous. En bref, nous ne voulons pas que toutes les décisions risquées soient prises par des gens qui auraient des intérêts financiers dans l’histoire.
Deuxièmement, il faut garder le sens des proportions: l’apparent déchaînement de cataclysmes ne présage pas la fin du monde. Gare à l’hystérie catastrophiste médiatique. Les catastrophes en série du XXIe siècle seront, dans une certaine mesure, une affaire de perception.
Savoir vivre comme au XVIIIe siècle
Notre sentiment de rebondir de cataclysme en désastre sera en partie dû au rétrécissement du monde et à l’ubiquité des technologies de communication. ...Troisièmement, il nous faut penser en terme d’amélioration de notre «résilience» sociétale. C’est le dernier mot à la mode dans le domaine de la préparation aux catastrophes. Pensez à ce que vous feriez, et à ce que ferait votre communauté, après un cataclysme. On ne peut pas toujours éviter le désastre, mais peut-être peut-on imaginer la manière de s’en remettre rapidement. Comment communiquerions-nous si une éruption solaire grillait les deux tiers du réseau électrique du pays? Quel moyen aurions-nous de savoir ce qu’il se passe d’ailleurs? Peut-être faudrait-il de temps en temps organiser un week-end «XVIIIe siècle» pour voir comment les gens arrivent à survivre deux jours sans électricité, sans antennes relais, ni câble, ni téléchargement iTunes ...
Mettez au point un plan d’urgence. Achetez des piles et des bouteilles d’eau pour commencer. Trouvez comment fonctionnent les choses autour de vous. Renseignez-vous sur l’infrastructure de votre communauté. Lisez des livres sur les sciences, les technologies et l’ingénierie, et ne vous inquiétez pas si le jargon vous échappe. Puis, une fois que tout cela sera fait, vivez votre vie, et cherchez le bonheur sur une planète qui, si elle est parfois dangereuse, est de loin la meilleure que nous ayons.
Joel Achenbach
Traduit par Bérengère Viennot
slate.fr
Dimanche 29 mai 2011
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Blog(fermaton.over-blog.com)No-8: THÉORÈME DES CATASTROPHES
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