dimanche 29 mai 2011

« Réinventer » la Tunisie par l’innovation - Cinquième partie : Renforcer les compétences

L'innovation, comme nous l'avons expliqué dans les quatre parties précédentes, a surtout besoin de compétences. Or, la Tunisie, contrairement à d'autres pays en développement, a toujours misé sur le développement de ressources humaines dotées de bonnes qualifications professionnelles dans tous les domaines. Cette période post-révolution a besoin d'apporter tous les correctifs nécessaires et d'accéder dès que possible à de nouvelles réformes permettant d'aspirer un développement économique et social plus équilibré et assurant une plus grande équité tout en s'orientant de manière résolue et irréversible vers la modernité.
Le développement des compétences se trouve désormais tributaire de quatre facteurs majeurs : l’adoption de la qualité et des normes internationales en matière de formation et d’apprentissage, la professionnalisation de l’offre de formation liée aux besoins du développement économique et social et à l’amélioration de la compétitivité de notre économie, une meilleure gouvernance de nos universités passant par une plus grande autonomie et par des contrats- programmes basés sur des objectifs clairs et ambitieux et des indicateurs précis permettant leur évaluation pour une plus grande redevabilité envers la société, et le recours systématiques aux technologies de l’information et des communications en développant en même temps une culture numérique auprès de tous et en investissant de manière intensive sur l’infrastructure numérique partout, notamment dans les régions de l’intérieur du pays.

a-Qualité et normes internationales
Le système d’enseignement supérieur cherche à se hisser au niveau des normes internationales surtout en visant à améliorer la qualité et l’employabilité de son offre de formation. Le «Système LMD» est en train d'être parachevé par la mise en place du cycle de doctorat. La part de codiplomation ou de double diplomation entre les institutions tunisiennes et leurs homologues dans les pays avancés a augmenté de manière significative. Cela est visible à travers le nombre de conventions de cotutelle de thèse conclues et la coopération dans le cadre des mastères de recherche, en vue de s’adapter aux progrès technologique et scientifique. Plusieurs recherches et études sont aujourd’hui rédigées en langue anglaise aspirant vers une plus grande visibilité internationale. L’évaluation interne et externe des institutions d’enseignement supérieur est en cours de généralisation. Cela permettra sans doute d’améliorer le classement des universités tunisiennes au plan international et fera émerger quelques pôles d’excellence au niveau national. L’instance nationale d’évaluation, d’assurance qualité et d’accréditation sera sans doute créée avant les délais fixés par la loi du 25 février 2008, c'est-à-dire avant 2012. Organisme autonome, elle jouera un rôle de soutien de premier plan à l’amélioration de l’enseignement supérieur.
Grâce à un effort accru à la formation des enseignants et formateurs dans les différents cycles de l’enseignement universitaire, le système national d’enseignement supérieur dispose aujourd’hui d’un bon taux d’encadrement compatible à une formation de qualité. Les conditions de travail de l’enseignant universitaire et du chercheur demandent, cependant, à être améliorées ; il faut qu'ils disposent d’espaces de travail adéquats ; accèdent à Internet avec une capacité de connexion à haut débit ; participent activement et en grand nombre aux congrès scientifiques et publient leurs recherches de manière fréquente dans les revues internationales indexées.

b-Professionnalisation
Investir dans la professionnalisation de l’enseignement supérieur augmente l’intelligence et le savoir-faire de notre population active ; ce qui de nos jours représente un avantage compétitif très important. Ce type d’enseignement répond au besoin du marché du travail.
La professionnalisation favorise des formations universitaires intégrant l’acquisition des connaissances appuyées sur la recherche, des compétences, des savoir-faire et du savoir-être, dans un processus global de formation assuré et contrôlé par des universitaires en partenariat et en consultation avec les professionnels. La dimension pratique de la formation devrait être renforcée en synergie avec le secteur de production grâce notamment aux stages et à la formation par alternance réglementée désormais par la loi du 29 avril 2009 et la coopération consolidée de nos écoles d’ingénieurs avec leurs homologues les plus performantes à l’étranger.
L’insertion professionnelle des diplômés est actuellement mauvaise. Les programmes devraient être, de plus en plus, alignés sur les besoins et les normes du marché de l'emploi. Ils devraient acquérir des compétences reconnues par les employeurs pour que ces derniers puissent trouver des travailleurs qualifiés. Tout le monde en profite.
Les licences appliquées co-construites en partenariat entre universitaires et professionnels augmentent d'année en année. Les études en mastère professionnel sont de plus en plus élargies et diversifiées, mais doivent cependant être mises en œuvre en étroite collaboration avec l’environnement économique. Les contenus de formation doivent tenir compte dans leur élaboration des besoins du marché de l’emploi et répondre aux normes de qualité, dans les différents diplômes à caractère pratique et professionnel. Une nouvelle génération de formateurs spécialisés, dans les nouvelles formations professionnalisantes (licences appliquées et mastères professionnels) éclora dans les prochaines années ; le besoin s’en fait déjà sentir de manière pressante.
Par ailleurs et en vue de faciliter encore plus l’insertion professionnelle des diplômés, la certification est en cours d'adoption dans la plupart des diplômes à caractère technologique et dans les langues. Déjà, un grand nombre d'ingénieurs diplômés sont aujourd’hui certifiés. L’accroissement du nombre d’ingénieurs certifiés est une reconnaissance de valeur pour notre pays. Cela devrait être étendu aux autres diplômes et spécialités.

c-Autonomie des universités
La modernisation des universités tunisiennes passerait d'abord par la mise en place d'une véritable autonomie et une responsabilisation effective. Elles pourront ainsi devenir redevables devant les autorités publiques de leur gestion des fonds publics, des grandes orientations de leur développement et des résultats atteints. Les fonds publics qui leur seraient désormais attribués seraient conditionnels à la performance et à l’atteinte des résultats. C'est pour cela que leur autonomie a besoin d'être renforcée assez rapidement, pour davantage d’efficacité et de souplesse dans la direction et la gestion. Cela pourra les inciter à une plus grande ouverture sur leur environnement et à développer des partenariats avec les universités étrangères.
Ensuite, des partenariats structurés et institutionnalisés avec les entreprises devraient être établis, pour les pourvoir en savoir-faire et compétences (employabilité, culture entrepreneuriale, formation tout au long de la vie). Mais les entreprises ont besoin aussi d’innovation découlant de la valorisation des résultats de la recherche scientifique et technologique. C’est pour cela que l’enseignement et la recherche devraient être financés de manière plus soutenue et efficace.
Ensuite, le développement régional peut profiter de ce nouveau statut de l’université qui va lui permettre de devenir une véritable locomotive de développement. En effet, grâce aux relations que le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche pourraient établir avec le monde socio-économique, les régions intérieures deviendraient plus attractives et plus compétitives. L’Université a été et resterait au cœur de cette dynamique de développement régional, au titre de ses laboratoires, ses formations, ses enseignants-chercheurs, ses étudiants…
Dans cette perspective, il sera alors attendu que les universités aient amélioré leur gouvernance. Cela passerait aussi par l’évaluation à travers des contrats-programmes établis avec l'Etat qui reflèteraient leur vision de l'avenir et renforceraient leur autonomie pour chercher les moyens de faire plus et mieux. Ces contrats témoigneraient de leur attachement à l’amélioration de la qualité et à la croissance et les feraient gagner aussi en visibilité et en compétitivité.

d-Technologies de l’information et des communications
Les compétences numériques s’imposent aujourd’hui à tous les niveaux de qualification et d’emplois. La plupart des innovations enregistrées dans le monde s’appuient sur les technologies de l’information et des communications, notamment dans les services. Dans l’enseignement supérieur, celles-ci ont cette faculté d’améliorer considérablement les pratiques et méthodes pédagogiques et d’apprentissage. Elles permettent aussi d'instaurer de nouveaux modes d’enseignement, notamment un enseignement virtuel parallèle, pour l’ensemble des filières de formation et à tous les niveaux universitaires.
Toutes les structures universitaires doivent s'adapter à la révolution numérique pour ne pas se marginaliser dans la nouvelle économie de la connaissance. Les bibliothèques universitaires qui constituent des réservoirs de savoirs et d’informations accumulés au fil du temps ont la responsabilité de s’y mettre très rapidement. Certaines d’entre elles, les plus grandes et les plus performantes, peuvent devenir de véritables « learning centers », donc jouer un rôle« pédagogique » bien plus important que par le passé. Pour cela, un grand effort et des résultats tangibles doivent être enregistrés dans la numérisation intégrale des bibliothèques universitaires.

Conclusion
La possibilité de passer à une autre étape car il n’y a pas d’autres alternatives pour sortir de la situation actuelle d'un pays en développement vers un pays avancé, la pays doit développer ses propres produits avec une grande valeur ajoutée pour pouvoir rester compétitif. Il s’agit de créer de la valeur économique dans un environnement concurrentiel, grâce à des avantages compétitifs : qualité des ressources humaines, qualité des produits, diverses infrastructures, centres de logistiques, réseaux de distribution, technologie, etc. et surtout par l'innovation.
Cette possibilité passe par la combinaison des actions qui favorisent le développement de la société du savoir : l’investissement massif en formation et en recherche scientifique et technologique, le développement des technologies de l’information et des communications et des systèmes d’information, la croissance et le partage des innovations.
Cette combinaison dépend néanmoins de l’importance des connaissances réunies des projets et savoir partagés, et surtout de la qualité organisationnelle de l’ensemble. Elle nécessite aussi le développement de la capacité d’innovation et de créativité à tous les niveaux de la production et notamment aux niveaux intermédiaires.
L’innovation a besoin de rapidité. Elle nécessite un déploiement rapide et coordonné. Nos structures et nos institutions ne doivent pas réagir trop lentement et de façon fragmentée.
Mais l'innovation demande aussi du temps et exige une planification rigoureuse. On doit parfois attendre plusieurs années avant qu'un investissement dans l'innovation devienne rentable. Ne l’oublions pas !

Rached Boussema

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