samedi 25 juin 2011

La face cachée de Facebook

Cette communauté virtuelle de 692 millions de personnes est devenue en cinq ans une grande puissance qui inquiète les Etats. Faits divers, terrorisme, trafics... les scandales se multiplient, mais rien n'entame le succès de la société californienne.

Carla avait 13 ans. Lundi dernier, elle a été battue à mort devant son collège, dans l'Hérault, par le frère d'une autre collégienne avec laquelle elle échangeait depuis des semaines des messages haineux sur Facebook. Une escalade verbale sur le «réseau social» à propos d'une obscure rivalité amoureuse a débouché sur une tragédie. Et tous, parents, enseignants, magistrats, découvrent avec effarement que la communauté virtuelle des «amis» peut - aussi - engendrer l'horreur. ...

Les faits divers impliquant Facebook sont chaque jour plus nombreux, reconnaît-on dans les tribunaux, sans pouvoir les quantifier. Aux États-Unis, la police a compté plus de 100.000 plaintes au cours des cinq dernières années. Pour des actes de terrorisme, des suicides en direct, du harcèlement sexuel, des appels à la haine raciale... Un mineur sur sept inscrits subirait des brimades, des propositions sulfureuses. Les forces de l'ordre s'in quiètent du volume d'informations personnelles, sensibles et non protégées.

Si les détraqués n'ont pas attendu les réseaux sociaux pour sévir, ils ont trouvé sur la toile quantité de proies ingénues en mal de plaire. C'est avec la promesse de ne plus jamais être seul, de faire du monde un univers d'amis, que Facebook a conquis le monde. Les scandales ont beau éclater, qui montrent les dangers de cette intimité dilapidée, rien n'entrave sa marche triomphale.

Chaque jour, des milliers de personnes s'inscrivent sur le réseau pour se jeter avidement dans la conversation mondiale. En France, seuls les plus hauts revenus résistent. Ils ne sont «que 60%» sur Facebook, selon ComScore, la société qui mesure les audiences sur le net. Ils ont souvent plus de 50 ans et regardent avec consternation l'humanité babiller, s'épancher, se mettre presque à nu. Ils sont d'autant plus réticents qu'ils bénéficient d'un réseau à l'ancienne, construit sur la sélection, par écoles, par diplômes, par voisinage. Facebook et ses connexions directes, qui bousculent les hiérarchies traditionnelles pour imposer le tutoiement à tous les âges, les dérangent. «Facebook concrétise la société des pairs: on communique à l'horizontale, il n'y a plus de chef, de père!», analyse le sociologue Stéphane Hugon. Beaucoup de parents s'inquiètent. Ils aimeraient que leurs enfants s'en détournent, «mais c'est tellement simple d'y aller que l'interdire est vain, reconnaît Laure, directrice dans une agence régionale de santé. Et tous leurs copains s'y trouvent». Les plus rétifs finissent par céder, car «priver les enfants de Facebook revient à leur refuser le téléphone portable», résume Benoît Thieulin, directeur de l'agence de communication numérique La Netscouade.

En quelques années, tout le web a été repeint en bleu, celui du réseau inventé en 2004 par un jeune étudiant de Harvard, Mark Zuckerberg. Certains se demandent si Facebook ne va pas dévorer le net. La planète des amis réunit 692 millions de membres. C'est l'un des plus vastes pays au monde ! Un humain sur dix est sur Facebook. Et le nombre vertigineux de membres grimpe d'heure en heure.

Aujourd'hui, 32 millions de Français sont inscrits. La moitié du pays.
Les internautes français passent en moyenne quatre heures et demie par mois sur Facebook, mais certains y vivent littéralement. Jamais ils ne ferment leur profil, ce fameux espace où ils se présentent, rassemblent leurs contacts, lisent les nouvelles de leurs amis. Il faut imaginer que la moitié des jeunes de 18 à 34 ans démarrent leur journée par une visite sur Facebook. Beaucoup y restent, comme si fermer leur profil revenait à se boucher une oreille. Ils vivent connectés en permanence, ont renoncé aux mails... Tout vient à Facebook. Toutes les vingt minutes, 1,3 million de photos rejoignent Facebook, devenu le plus vaste album photo au monde. On y trouve les portraits des vivants et même de bébés en gestation, puisque beaucoup postent les clichés des échographies, mais aussi des morts, qui restent là, avec leurs yeux grands ouverts, souriants dans le ciel numérique, indifférents aux turbulences d'ici-bas. ...

Né dans la culture du campus américain, ce réseau est un rêve d'adolescent: celui de rester connecté au groupe en permanence. De voir et d'être vu, avec un certain culte de la trans gression. Les étudiants américains profitent de leurs années campus pour s'adonner aux blagues potaches, à la drague assidue, aux soirées arrosées... Facebook a démultiplié l'écho de ces fêtes. Ces clichés sont parfois fatals aux étudiants une fois leur diplôme en poche: très vite, les employeurs se sont mis à chercher sur lesréseaux sociaux des renseignements sur le comportement de leurs futurs employés. Désormais, 45 % des recruteurs américains déclarent utiliser les sites de réseaux sociaux (Facebook, Myspace, Linkedin, Twitter, etc.) pour trouver des informations sur des candidats qui postulent à leurs offres d'emplois, selon un sondage Louis Harris.

Si les jeunes comprennent peu à peu que Facebook peut leur jouer des tours, les malentendus persistent sur la confidentialité des messages postés sur le réseau. Peut-on critiquer son employeur sur Facebook? La jurisprudence hésite encore. Récemment, trois employés de la société d'ingénierie Alten ont été licenciés pour avoir décrié leur hiérarchie sur leurs profils. Les prud'hommes ont entériné cette décision, car les profils n'étaient guère protégés. Les amis des amis pouvaient voir les messages. Les juges ont considéré que «dans ces conditions, Facebook devenait une plate-forme de communication et non un espace privé», souligne Thomas Saint-Aubin, spécialiste du droit du numérique. D'autres affaires seront jugées ces prochains mois. Pour l'avocate Christiane Féral-Schuhl, futur bâtonnier de Paris, «la confidentialité est une illusion sur le réseau. Tous les contenus peuvent être recopiés par les amis et diffusés largement. En réalité, nous vivons une sorte de Mai68 numérique, un déshabillage public. Cette liberté est grisante, mais il faut comprendre que Facebook est un espace public, qu'on ne peut pas tout dire, tout faire. Au risque de diffamer.» D'autant qu'internet n'oublie rien. Les accusations restent, disséminées sur la toile, même après une relaxe.

Petit à petit, chacun réalise que Facebook n'est pas une alcôve, mais une chambre sans porte qu'il faut apprendre à ranger. «Les jeunes ont compris qu'il fallait segmenter leurs contacts sur le net, assure Benoît Thieulin, de La Netscouade. Ils réservent Facebook à leurs amis et gèrent leurs contacts professionnels sur Viadeo ou LinkedIn.» La segmentation se poursuit sur Facebook, où ils passent des heures à paramétrer leur compte. «Ils cantonnent leurs parents dans un groupe, donnent un libre accès à leur profil à leur vrais amis, mais le limitent pour les copains du lycée», précise ce spécialiste du web.

Des nouveaux membres plus âgés, des profils plus austères


Infographie : Olivier Cailleau (Sources : eCircle/Mediacom Science 2010/Comscore)
Infographie : Olivier Cailleau (Sources : eCircle/Mediacom Science 2010/Comscore)
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Tout ce que le net invente, Facebook l'aspire. Pour garder ses membres, le réseau a promu la recherche «sociale». Plutôt que de taper dans Google le nom d'un spectacle, on peut interroger ses contacts. S'ils ont aimé, cette recommandation aura plus de valeur que des avis anonymes. Mais pour devenir un véritable moteur de recherche, Facebook a aussi ouvert ses portes aux contenus, aux articles, aux infos. Il suffit de cliquer sur un symbole Like pour intégrer ces pages aux profils. Et désormais, «on ne surfe plus de site en site, mais d'ami en ami. Ils deviennent notre filtre. C'est le règne de l'entre-soi», résume Stanislas Magniant, directeur de Net Intelligenz, la branche internet de Publicis. Facebook a ainsi capté une partie de la recherche d'informations sur le net. La moitié des jeunes s'informent uniquement sur Facebook. ...

Aujourd'hui, le dynamisme d'internet est largement conditionné par la puissance de Facebook. Jeux en ligne, services, pages de grandes marques : tout est taillé pour le réseau social qui, pour l'instant, accueille gratuitement tous ces acteurs. ...

Les menaces de régulation contre Facebook fleurissent

Cette puissance inquiète les marchés comme les organismes de régulation. Car peu à peu, le net libre et ouvert des débuts se retrouve dominé par des géants californiens: Apple, Google, Face book, qui proposent des services complets. «C'est extrêmement périlleux pour les acteurs français du net, alerte Bernard Benhamou. D'autant que Facebook va bientôt devenir l'ami de tous les instants de la vie: au supermarché, je saurai ce que mes contacts ont préféré, avec la télévision connectée, j'apprendrai ce que regardent mes friends...»

De Paris à Washington, des menaces de régulation fleurissent. Une proposition de loi d'une sénatrice démocrate entend interdire à Facebook de divulguer par défaut d'autres informations que le nom du membre et sa ville de résidence. Les parents seraient aussi en droit d'exiger le retrait des informations personnelles de leurs enfants de moins de 18 ans ! Le texte doit bientôt être débattu. Pour tenter d'échapper aux foudres du Congrès, la société de Palo Alto a embauché, ces derniers mois, une solide équipe de lobbyistes formée d'anciens conseillers démocrates... et républicains. Les nouveaux chantres de l'amitié !

The Social Network, histoire de Facebook :



Par Cécilia Gabizon
lefigaro.fr
24/06/2011

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