Distingué, soumis, anticolonial ou émancipé: les mille visages d’un sacré bout de tissu
Il y a le hijab, qui recouvre pudiquement les cheveux et le cou. Mais aussi le tchador iranien, qui enveloppe tout le corps, ne laissant voir que le visage. Sans oublier bien sûr le niqab, qui ne permet d’apercevoir que les yeux. Et enfin la burqa afghane, ce drap bleu jeté sur une personne dont on ne saurait même plus dire s’il s’agit bien d’une femme. Pas de doute: pour les sociétés occidentales, le voile est synonyme d’islam conservateur. Et de soumission de la femme. D’où les réactions de rejet et les débats enragés en Europe et aux Etats-Unis. Or, les frictions risquent de s’accentuer encore, car les révoltes arabes ont porté au pouvoir des islamistes qui applaudissent la résurgence du voile islamique ces dernières décennies. Et dans nos contrées, des musulmanes revendiquent le droit de porter ce sacré fichu…
Paru le mardi 9 avril 2013
Ce blog est édité par les journalistes de la rubrique Monde de la Tribune de Genève.
Il y a le hijab, qui recouvre pudiquement les cheveux et le cou. Mais aussi le tchador iranien, qui enveloppe tout le corps, ne laissant voir que le visage. Sans oublier bien sûr le niqab, qui ne permet d’apercevoir que les yeux. Et enfin la burqa afghane, ce drap bleu jeté sur une personne dont on ne saurait même plus dire s’il s’agit bien d’une femme. Pas de doute: pour les sociétés occidentales, le voile est synonyme d’islam conservateur. Et de soumission de la femme. D’où les réactions de rejet et les débats enragés en Europe et aux Etats-Unis. Or, les frictions risquent de s’accentuer encore, car les révoltes arabes ont porté au pouvoir des islamistes qui applaudissent la résurgence du voile islamique ces dernières décennies. Et dans nos contrées, des musulmanes revendiquent le droit de porter ce sacré fichu…
Le choc peut-il être évité? Elisabeth Reichen-Amsler voudrait au
moins parer aux malentendus. Commissaire de l’éclairante exposition Voile & Dévoilement, qui s'est terminée le 13 avril à Genève (Uni Dufour), elle juge «indispensable en Occident de comprendre quel est vraiment le sens donné au foulard par les musulmanes qui le portent et pour celles-ci de saisir l’importance accordée dans nos sociétés à la mise à nu». Une démarche que partage Silvia Naef, professeure à l’Unité d’arabe de l’Université de Genève. Jeudi 11 et vendredi 12 avril, elle a réuni une multitude d’experts pour un colloque intitulé «Voile, corps féminin et pudeur, entre islam et Occident». Pour en finir avec les idées reçues.
Tout sauf islamique
moins parer aux malentendus. Commissaire de l’éclairante exposition Voile & Dévoilement, qui s'est terminée le 13 avril à Genève (Uni Dufour), elle juge «indispensable en Occident de comprendre quel est vraiment le sens donné au foulard par les musulmanes qui le portent et pour celles-ci de saisir l’importance accordée dans nos sociétés à la mise à nu». Une démarche que partage Silvia Naef, professeure à l’Unité d’arabe de l’Université de Genève. Jeudi 11 et vendredi 12 avril, elle a réuni une multitude d’experts pour un colloque intitulé «Voile, corps féminin et pudeur, entre islam et Occident». Pour en finir avec les idées reçues.
Tout sauf islamique
L’islam n’a pas inventé le voile au VIIe siècle. Dans l’Antiquité, donc bien avant Mahomet et les conquêtes musulmanes, cet accessoire vestimentaire était porté un peu partout au Moyen-Orient et autour de la Méditerranée. La plus ancienne mention, c’est une loi assyrienne du XIe ou XIIe siècle avant Jésus-Christ obligeant les femmes mariées à se couvrir en public. Donc, le voile faisait partie des mœurs.
Le judaïsme, sans en faire une obligation théologique, a souvent adopté cette coutume localement. Aujourd’hui encore, des femmes ashkénazes ultraorthodoxes portent une perruque masquant leurs cheveux, jugés trop séduisants pour être exposés à d’autres qu’à leurs maris.
Le judaïsme, sans en faire une obligation théologique, a souvent adopté cette coutume localement. Aujourd’hui encore, des femmes ashkénazes ultraorthodoxes portent une perruque masquant leurs cheveux, jugés trop séduisants pour être exposés à d’autres qu’à leurs maris.
C’est en fait le christianisme qui a été le plus dogmatique. Le grand évangélisateur Paul de Tarse (saint Paul) a imposé le port du voile, car «à ses yeux la femme était moins proche de Dieu. Selon le récit de la Genèse, elle n’aurait été créée qu’à partir d’une côte de l’homme, alors que lui était à l’image de Dieu», note Elisabeth Reichen-Amsler. Cela a laissé des traces. Aujourd’hui, dans certaines régions d’Europe, il faut se voiler avant d’entrer dans une église. Et chez nous, personne ne s’étonne de voir passer des bonnes sœurs coiffées d’un foulard.
Symbole des élites musulmanes
Le Coran recommande aux croyantes «de baisser leurs regards, être chastes, de ne faire paraître (de) leurs charmes que ceux qui ne peuvent être cachés, de rabattre leur voile sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux ou à leurs fils» (sourate 24). Plus loin, il est dit qu’elles «seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées» (sourate 33). Mais il faudra attendre le IXe siècle, soit deux cents ans après Mahomet, avant que les musulmanes ne se mettent vraiment à porter le voile. Et encore, c’était moins un accessoire sacré qu’un signe de distinction adopté par les femmes des classes supérieures, assure l’universitaire berlinoise Christina von Braun dans son livre intitulé La réalité voilée (2007).Symbole des élites musulmanes
«On croit que toute musulmane voilée est soumise. Cela existe bien sûr, malheureusement, mais il y a aussi de nombreuses femmes qui ont des responsabilités publiques. Pour ces personnes, le port du foulard est souvent une question de pudeur, de code vestimentaire. Ce qui n’empêche pas qu’on puisse y voir un symbole patriarcal, analyse Silvia Naef. A la fin du XIXe siècle, le voile était surtout porté dans les classes supérieures urbaines, mais pas chez les pauvres ou dans les campagnes.» En Occident aussi, jusqu’aux années 1950, le foulard est resté longtemps un signe de distinction, de respectabilité (comme le chapeau des hommes). Pas question de sortir tête nue. La mode n’a pas manqué de s’en emparer. Grace Kelly, Audrey Hepburn et Brigitte Bardot n’hésitaient pas à le porter, jouant du voile comme d’un outil de séduction, voire d’érotisme. Un aspect aujourd’hui visible dans les sociétés arabo-musulmanes.
L’élan féministe
Le féminisme dénonce la société patriarcale et s’en prend donc naturellement au voile et à tout ce qui peut symboliser la soumission à l’homme. Le dénudement du corps féminin s’est opéré à très grande vitesse au cours du XXe siècle. En Occident, mais pas seulement. «Dans le monde musulman, le dévoilement fait débat depuis les années 1890, note Silvia Naef. Mais même celles qui militaient pour l’abandon du voile avaient du mal à faire le pas, un peu comme si aujourd’hui l’on demandait aux femmes d’ici de sortir seins nus.» L’Egypte sera le premier pays à entamer le processus de modernisation au début du XXe siècle. «Dans les années 1950 au Caire, la plupart des femmes ne se voilaient pas. Le président Nasser se moquait des leaders des Frères musulmans qui n’arrivaient pas à obtenir de leurs sœurs qu’elles sortent couvertes, rappelle Silvia Naef. Cette évolution n’était pas simplement importée d’Europe, certains religieux musulmans la soutenaient, de même qu’ils souhaitaient voir les femmes aller à l’école, pour qu’elles éduquent la jeune génération.»L’élan féministe
Récupération coloniale
«Malheureusement, le dévoilement a été instrumentalisé par les puissances coloniales pour justifier leur domination «civilisatrice» d’un Orient décrit comme rétrograde. En Algérie, la France a organisé des cérémonies de dévoilement (ndlr: en 1958). Et des leaders autoritaires comme Atatürk (en 1925 déjà!) , le shah d’Iran (1935) ou encore le président tunisien Bourguiba (1966) ont procédé à une modernisation forcée des mœurs, souvent perçue comme une occidentalisation», remarque Silvia Naef. Voilà qui a fait du voile un «symbole anticolonial», explique l’écrivaine américano-égyptienne Leila Ahmed, professeure à Harvard et auteure d’Une révolution tranquille: la résurgence du voile (2011). Un symbole efficace. En Egypte, par exemple, où les Frères musulmans ont incarné avec succès la revendication de «valeurs islamiques» contre les «mœurs occidentales», la plupart des femmes portent à présent le voile.
Un «féminisme islamique»?
Chercheuse à l’Université de Genève, Leïla El-Bachiri décrit l’émergence d’un «féminisme islamique». Au début des années 1990, des universitaires iraniennes s’emparent du concept, affirmant que les textes religieux (Coran et Sunna) sont surtout porteurs d’égalité entre les sexes et que les versets discriminants n’ont pas la même importance dans les Ecritures. Elles réclament que soient écartées les interprétations patriarcales inscrites dans la jurisprudence. L’islam doit devenir un outil d’émancipation.
«Malheureusement, le dévoilement a été instrumentalisé par les puissances coloniales pour justifier leur domination «civilisatrice» d’un Orient décrit comme rétrograde. En Algérie, la France a organisé des cérémonies de dévoilement (ndlr: en 1958). Et des leaders autoritaires comme Atatürk (en 1925 déjà!) , le shah d’Iran (1935) ou encore le président tunisien Bourguiba (1966) ont procédé à une modernisation forcée des mœurs, souvent perçue comme une occidentalisation», remarque Silvia Naef. Voilà qui a fait du voile un «symbole anticolonial», explique l’écrivaine américano-égyptienne Leila Ahmed, professeure à Harvard et auteure d’Une révolution tranquille: la résurgence du voile (2011). Un symbole efficace. En Egypte, par exemple, où les Frères musulmans ont incarné avec succès la revendication de «valeurs islamiques» contre les «mœurs occidentales», la plupart des femmes portent à présent le voile.
Un «féminisme islamique»?
Chercheuse à l’Université de Genève, Leïla El-Bachiri décrit l’émergence d’un «féminisme islamique». Au début des années 1990, des universitaires iraniennes s’emparent du concept, affirmant que les textes religieux (Coran et Sunna) sont surtout porteurs d’égalité entre les sexes et que les versets discriminants n’ont pas la même importance dans les Ecritures. Elles réclament que soient écartées les interprétations patriarcales inscrites dans la jurisprudence. L’islam doit devenir un outil d’émancipation.
Ce féminisme religieux s’est aussi affirmé en Malaisie à travers les Sœurs en islam – un mouvement luttant contre la réislamisation conservatrice de la société. Elles critiquent les textes religieux misogynes avec l’aide de théologiens de haut vol, pour ne pas laisser aux oulémas le monopole du discours islamique.
Au Maroc, lors de la réforme, en 2004, du code de la famille, qui risquait de consacrer l’autorité de l’homme ainsi que la répudiation et d’autres inégalités, toutes les «corrections» proposées par les féministes laïques se sont heurtées à des manifestations de foules islamistes… jusqu’à ce qu’elles opèrent une synthèse entre féminisme et islamisme, réclamant des droits au nom de la religion. Le tout avec l’appui du roi. Cette expérience en a inspiré d’autres, ailleurs dans le monde. Il y a même eu un Congrès international sur le féminisme islamique en 2005 à Barcelone.
Dans des sociétés où le militantisme laïque est perçu comme un acte de soumission à la pensée occidentale, le voile et l’affirmation religieuse permettent à des femmes de mieux faire entendre leur cause.
Au Maroc, lors de la réforme, en 2004, du code de la famille, qui risquait de consacrer l’autorité de l’homme ainsi que la répudiation et d’autres inégalités, toutes les «corrections» proposées par les féministes laïques se sont heurtées à des manifestations de foules islamistes… jusqu’à ce qu’elles opèrent une synthèse entre féminisme et islamisme, réclamant des droits au nom de la religion. Le tout avec l’appui du roi. Cette expérience en a inspiré d’autres, ailleurs dans le monde. Il y a même eu un Congrès international sur le féminisme islamique en 2005 à Barcelone.
Dans des sociétés où le militantisme laïque est perçu comme un acte de soumission à la pensée occidentale, le voile et l’affirmation religieuse permettent à des femmes de mieux faire entendre leur cause.
Liberté voilée en Occident
Tout autre est le phénomène du voile islamique porté en Occident. Patrie portative, il permet à certaines immigrées de se sentir reliées à leurs origines. Pour d’autres, il peut s’agir simplement d’afficher leur appartenance à une communauté. Mais certaines musulmanes revendiquent la liberté (et donc le droit) de porter le voile au travail, y compris dans la fonction publique. Par obligation religieuse. Mais aussi, disent-elles, parce qu’ainsi couvertes elles se sentent libérées de la tyrannie du «look»: l’impératif de beauté, de minceur, de séduction, rappelé en permanence par la publicité, la télévision ou le cinéma. Elles dénoncent la commercialisation du corps dénudé de la femme, nouvelle forme de soumission à l’homme. Le voile devient ainsi une forme de protestation contre le sexisme, note Leila Ahmed. «Ou du moins, c’est le discours qu’elles tiennent.»
Ce qui est sûr, c’est que «demander à pouvoir choisir librement le voile est possible en Occident, mais plus difficile en Egypte, où la pression sociale est énorme, ajoute la professeure de Harvard. Sans parler de l’Iran, de l’Afghanistan ou de l’Arabie saoudite, où le voile est obligatoire.» Souvent sous sa forme la plus intégrale. Les Saoudiens, en finançant des mosquées partout en Occident, encouragent la diffusion d’un islam conservateur. «Mais il n’est pas sûr qu’ils soient heureux du résultat, estime Leila Ahmed. Aux Etats-Unis par exemple, de plus en plus de femmes voilées s’ouvrent au dialogue interreligieux. Et leurs enfants grandissent avec les mêmes valeurs que d’autres petits Occidentaux.»
Ce qui est sûr, c’est que «demander à pouvoir choisir librement le voile est possible en Occident, mais plus difficile en Egypte, où la pression sociale est énorme, ajoute la professeure de Harvard. Sans parler de l’Iran, de l’Afghanistan ou de l’Arabie saoudite, où le voile est obligatoire.» Souvent sous sa forme la plus intégrale. Les Saoudiens, en finançant des mosquées partout en Occident, encouragent la diffusion d’un islam conservateur. «Mais il n’est pas sûr qu’ils soient heureux du résultat, estime Leila Ahmed. Aux Etats-Unis par exemple, de plus en plus de femmes voilées s’ouvrent au dialogue interreligieux. Et leurs enfants grandissent avec les mêmes valeurs que d’autres petits Occidentaux.»
Andrés Allemand
Ce blog est édité par les journalistes de la rubrique Monde de la Tribune de Genève.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire