Les applications numériques ont beau nous rendre la vie plus simple et plus excitante au quotidien, force est de constater aussi qu'elles ont détruit un nombre considérable d'emplois. Grosso modo, toutes les tâches routinières qui pouvaient être programmées et automatisées l'ont été ou sont en passe de l'être. Des robots et des logiciels remplacent les travailleurs dans de multiples domaines; le mouvement, qui a touché en premier lieu les processus industriels, s'est rapidement étendu au process des services. Il touche désormais les professions intellectuelles dites supérieures. En 2011 par exemple,plusieurs dizaines de milliers d'avocats se sont retrouvés au chômage aux Etats-Unis, car est apparu un logiciel spécialisé dans la vérification systématique des pièces attachées à tout dossier instruit, tâche qui occupait de très nombreux hommes de loi.
Les emplois liés aux TIC devraient être moins exposés que les autres, puisque la demande en ce domaine croît sans cesse, pour automatiser toujours plus de processus. Pourtant, de nombreux emplois liés aux TIC ont déjà disparu ou se sont considérablement transformés, touchés eux aussi par l'automatisation. Regardez par exemple le métier de développeur web : voici quinze ans, on trouvait des développeurs de métier derrière la majorité des sites, même les plus simples. Aujourd'hui, n'importe qui peut créer un site en quelques minutes grâce aux gabarits mis à disposition gratuitement. Pourtant, on manque plus que jamais de développeurs ! Mais pas pour faire la même chose qu'avant : les développeurs ont intérêt désormais à maîtriser plusieurs langages, à pouvoir apporter sur-le-champ la preuve de leurs compétences et à avoir des capapcités d'apprentissage hors du commun pour répondre à leurs missions de plus en plus complexes et dynamiques.
Un systéme éducatif qui ne prépare plus à la réalité du travail
Les tâches et emplois les plus routiniers sont donc voués à la disparition. La société de la connaissance ne serait-elle favorable qu'aux mieux dotés et aux plus fortements dilômés ? Oui mais hélas, pas systématiquement... Nombre de diplômés du supérieur restent sur la touche. Harold Jarche, spécialiste du Social Learning, a fait lors du colloque 2013 du REFAD une remarquable intervention dans laquelle, après avoir dressé le constat dont sont tirés les paragraphes ci-dessus, il a fortement remis en cause le modèle éducatif actuel. Le monde du travail a en effet subi de plein fouet la révolution numérique. C'est maintenant au monde éducatif de s'adapter, mais il resiste remarquablement bien, en continuant de développer chez les jeunes des compétences individuelles (ce qui est toujours mieux que de transmettre de simples savoirs), dans un monde où la valeur ajoutée de la personne tient essentiellement à sa capacité à évoluer dans un réseau. Jarche a notamment cité une étude réalisée par Robert Kelley, montrant que si, en 1986, 75 % des connaissances dont les travailleurs du savoir avaient besoin pour assurer leur travail étaient encore "emmagasinées dans (leur) cerveau", ce nombre a chuté à 9 % en 2006 (après l'irruption du web)... et n'est peut-être même plus mesurable aujourd'hui, tant il est infime.
Une société post-emploi ?
Les gains de productivité dus à l'automatisation des tâches, la délocalisation de la production de certains biens et services et l'inadaptation de nombre de diplômés à la société en réseau jouent un rôle crucial dans la montée du chômage. À ceci, il faut évidemment ajouter la crise économique qui sévit depuis 2008, de manière plus ou moins intense selon les pays. Ces phénomènes cumulés ont conduit nombre de pays à des niveaux de chômage records. En France, en Pologne, en Irlande, plus de 25 % des jeunes sont au chômage. La situation est bien pire en Italie (40 % de jeunes au chômage), en Espagne (56 %) et en Grèce (62 %). Même les Etats-Unis découvrent le chômage structurel, avec quelques décennies de retard sur l'Europe, et se préparent à inventer un mode de vie dont le travail ne constituerait plus la pièce maîtresse, comme on peut le lire dans Techcrunch.
On ne s'étonnera pas alors que l'entrepreneuriat individuel soit fortement encouragé par les pouvoirs publics gérant des assurances-chômages en déficit permanent. La France a mis en place en 2009 le statut d'autoentrepreneur qui permet à toute personne, quelle que soit sa condition, d'exercer de manière légale une activité principale ou complémentaire sans s'encombrer de la copieuse paperasse imposée comme une punition à tout créateur d'entreprise. Mais, alors que ce statut rapporte des centaines de millions chaque année à l'état français en impôts et cotisations sociales, voilà que le gouvernement actuel est en passe d'en restreindre l'utilisation, au risque de faire remonter encore la courbe du chômage, de renvoyer nombre d'individus dans le travail au noir et de perdre d'importantes rentrées fiscales et sociales.
UniMOOC : Apprendre à entreprendre
Comment aider les volontaires à passer de l'idée aux actes, créer leur propre emploi, voire à développer une véritable entreprise ? Ce goût se développe dans un environnement porteur et positif, et pas seulement sous la contrainte économique. C'est en Espagne, pays qui, comme nous l'avons vu plus haut, fait actuellement face à un chômage de masse, qu'est née une initiative particulièrement intéressante à ce niveau : UniMOOC AEmprende, un des premiers MOOC développés en Europe (octobre 2012) et qui a depuis lors adopté une distribution permanente. UniMOOC est consacré à la création d'entreprise. Il s'agit d'un projet collaboratif, impulsé intialement par l'institut d'économie internationale de l'université d'Alicante, et qui fédère actuellement 16 partenaires, pouvoirs publics, entreprises et universités.
Le slogan d'UniMOOC est "Aprender + Emprender", soit "Apprendre + Entreprendre". Nous sommes ici très proches de ce que Jarche dans son intervention au colloque du REFAD mentionnait comme la nouvelle articulation entre l'éducation et le travail :
UniMOOC est entièrement consacré à la création d'entreprise dans le domaine des TIC. Entrepreneurs, investisseurs et experts des TIC alimentent les 7 unités thématiques (+ une : "comment créer sa startup"), complétées d'unités régionales (universités d'Alicante, de Murcia et de Cantabria).
UniMOOC est un MOOC connectiviste, qui exploite donc à plein les caractéristiques supports du web pour l'apprentissage : l'accès illimité à l'information, la capacité d'auto-édition et la facilité de création de groupes d'apprentissage. 2500 personnes venant de 60 pays ont suivi la première édition de ce MOOC. Depuis, il est ouvert en permanence et on peut s'y inscrire à tout moment. Actuellement, plus de 20 000 personnes sont déjà passées par UniMOOC.
Ce qui frappe dans UniMOOC, c'est la parfaite cohérence entre le fond et la forme. Le MOOC connectiviste est en effet une forme d'apprentissage en réseau, comme l'est le travail aujourd'hui, et comme l'est aussi, obligatoirement, toute démarche de création d'entreprise. En faisant dialoguer les aspirants entrepreneurs entre eux et avec les professionnels, le MOOC crée véritablement un écosystème favorable à l'entrepreneuriat et à l'apprentissage, confondus dans une démarche unique.
Les périodes de crise sont favorables à une certaine innovation. UniMOOC en est une parfaite illustration. Le modèle mérite d'être décliné en plusieurs langues. Quel entrepreneur hardi relèvera ce défi ?
RÉFÉRENCES :
REFAD | Réseau d'enseignement francophone à distance. "REFAD - Colloque 2013." Site consulté le 17 juin 2013. http://www.refad.ca/publications-et-rapports-de-recherche/publications/colloque/colloque-nouveaux-horizons-en-formation-a-distance-que-nous-reserve-lavenir-edmundston-n-b-30-et-31-mai-2013-archives-en-ligne/. Suivez les instructions pour accéder à la conf"rence d'Harold Jarche (en français).
Jarche, Harlod. "The post-job economy." Harold Jarche | sense-making for the connected workplace. 24 février 2013. http://www.jarche.com/2013/02/the-post-job-economy/.
Jarche, Harold. "Shifting work." Harold Jarche | sense-making for the connected workplace. 16 mai 2013. http://www.jarche.com/2013/05/shifting-work/.
Markoff, John. "Armies of Expensive Lawyers, Replaced by Cheaper Software." The New York Times. 4 mars 2011. http://www.nytimes.com/2011/03/05/science/05legal.html?pagewanted=all&_r=0.
"Toute l'Europe: Comparatif : le taux de chômage des jeunes dans l'UE." 14 juin 2012.http://www.touteleurope.eu/fr/actions/social/emploi-protection-sociale/presentation/comparatif-le-taux-de-chomage-des-jeunes-dans-l-ue.html.
Evans, Jon. "After Your Job Is Gone." TechCrunch. 1er juin 2013.http://techcrunch.com/2013/06/01/after-your-job-is-gone/.
Le Galès, Yann. "Le gouvernement Ayrault s'attaque aux auto-entrepreneurs." Paroles d’entrepreneurs. 17 avril 2013. http://blog.lefigaro.fr/legales/2013/04/le-gouvernement-ayrault-sattaque-aux-auto-entrepreneurs.html.
"UNIMOOC AEMPRENDE." Site consulté le 17 juin 2013.http://unimooc.com/landing/index.html.
Illustrations. En-tête : Cienples design, Shutterstock.com. Corps de texte, 2 et 3 : copies de diapositives utilisées par Harold Jarche pendant sa présentation au colloque du REFAD 2013. 3 : capture d'écran de la page d'accueil d'UniMOOC.
Créé le lundi 17 juin 2013 | Mise à jour le lundi 17 juin 2013
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