Par une loi organique de 2006, l’Espagne s’est dotée d’une sorte de socle commun pour l’enseignement obligatoire, qui repose largement sur le développement dans le curriculum de huit compétences de base, assez proches du cadre européen bien connu.
Dans un système espagnol plutôt fédéral, ce sont les régions qui exercent l’essentiel des attributions de pilotage en matière d’éducation (bien que le gouvernement actuel semble revenir sur ces équilibres).
C’est dans ce contexte que les participants du réseau KeyCoNet sont allés observer la mise en oeuvre des compétences dans la politique éducative dans la région d’Andalousie, plus précisément autour de Séville.
Dans cette région assez pauvre, qui connait un sous-développement économique et éducatif de longue date, un programme régional spécifique (“PICBA”) a été mis en place, consacré à l’enseignement et l’apprentissage des compétences. Impliquant environ 82 établissements scolaires (enseignement primaire et secondaire) et 4000 enseignants, le programme concerne à la fois la formation des enseignants, le développement curriculaire ou la production de ressources pédagogiques autour des compétences.
Travailler sur des thèmes communs
Concrètement, dans des établissements à l’image de l’école secondaire IES Itaca, cela se traduit par des initiatives pédagogiques privilégiant ce que nous appellerions des projets interdisciplinaires (plusieurs disciplines travaillant sur le même thème), des productions communes à forte visibilité (notamment dans le domaine artistique et culturel), le recours fréquent au travail en groupe (des élèves comme des enseignants), le décloisonnement des emplois du temps, l’usage de certains outils des TIC (tableau blanc interactif, sites web, documents partagés..).
Cette volonté de travailler les différentes compétences autour de thèmes communs peut aller assez loin. Une école primaire (CEIP Miguel de Cervantes) a ainsi développé un projet pédagogique complet autour du thème de la culture des fraises, thème familier à l’ensemble des parents et des élèves. L’école est en effet située dans la province de Huelva (extrême sud ouest de l’Espagne), région connue pour sa (mono)culture de la fraise depuis les années 60. Le choix a donc été fait de monter une unité d’enseignement composée de 15 séquences didactiques relatives à la culture et à l’exploitation de la fraise, permettant de décliner différents apprentissages autour du thème (cycle biologique du fruit, démographie locale des travailleurs de la fraise, développement économique et historique, représentation graphique de la production, composer une pièce autour de la fraise, principaux termes anglais pour présenter la culture de la fraise, etc.).
Des leviers pour mieux impliquer les élèves dans leurs apprentissages
Au sein de l’école Félix Rodriguez de la Fuente de Séville, l’apprentissage a été organisé autour d’unités d’enseignement intégré, choisies par les enseignants comme thème général à décliner dans l’ensemble des aires curriculaires pendant une année scolaire. Lors de la visite que nous avons effectuée en octobre 2012, le thème était celui des pays de l’Union européenne. Chaque classe avait choisi d’étudier un pays en détail : symboles nationaux, langue, traditions, gastronomie, culture, arts, etc.
Les domaines étudiés donnaient lieu à diverses activités pédagogiques (lecture, écriture, chants, calcul, dessin, initiation à une langue étrangère…) individuelles et collectives.
De nombreux travaux confectionnés par les élèves (posters, dessins, graphiques, tableaux…) aux couleurs des différents pays tapissaient ainsi les couloirs, autant dans un souci d’évaluation formative que de valorisation des élèves et d’information pour les visiteurs.
Les premiers visiteurs concernés sont en l’occurrence les parents, qui peuvent constater chaque jour l’évolution des activités dans les classes, les couloirs devenant une sorte de portfolio mural de leurs enfants.
Certaines activités pratiquées à la maison, comme des reportages photos légendés de l’exécution d’une recette étrangère, inscrivent d’ailleurs clairement le travail pédagogique à cheval entre l’école et la famille.
S’il n’est pas possible d’évaluer lors d’une visite les effets de ces pratiques pédagogiques sur les apprentissages des élèves, il apparaît en revanche que ces derniers sont largement engagés dans leur vie scolaire, et apparemment plus motivés qu’auparavant aux dires des enseignants.
La mise en place de l’enseignement par projets, à la place des traditionnels séquences basées sur les manuels scolaires, a demandé des efforts substantiels à l’équipe pédagogique et a nécessité une information constante des parents.Le dispositif repose largement sur l’implication collective des enseignants (qui disposent d’une salle des professeurs plaisante et visiblement utilisée) et l’insertion de l’école dans les réseaux de coordination pédagogique régionaux
En retour, le soutien et l’implication des familles dans la scolarité des enfants semblent s’être largement améliorés.
Une école musée bien vivante
L’établissement d’enseignement secondaire José Maria Infantes se présente lui même comme une école musée (escuela mueso). Ce n’est pas dans l’architecture et les équipements, banalement contemporains, qu’on identifiera ces caractéristiques particulières, ni en scrutant les élèves ou les enseignants, qui ressemblent heureusement à n’importe quelle population scolaire de ce début du 21° siècle. On comprend en revanche la revendication de “musée” en découvrant un peu partout des peintures et des sculptures qui reproduisent des chefs d’oeuvre bien connus de l’humanité dans les couloirs, sur les murs, les plafonds, les portes et les salles de classe.
Toutes les époques et tous les styles sont représentés et c’est assez intriguant d’observer une classe ordinaire de mathématiques se dérouler sous le regard des “Marylin” d’Andhy Wahrol ou des groupes d’élèves consulter leur portables dans le hall devant une grande reproduction de l’école d’Athènes.
L’ensemble de ces répliques a été réalisé dans un vaste atelier de travail, dans lequel on peut voir durant toute la journée des élèves, seuls ou en groupe, répliquer un sarcophage égyptien ou un tableau de Picasso en jonglant avec les moyens technologiques les plus modernes comme avec les techniques et les matériaux plus anciens utilisés pour la réalisation de l’oeuvre originale.
Ces oeuvres sont régulièrement présentées et commentées (en espagnol, anglais ou français) lors de visites guidées à destination de publics variées.
L’objectif global consiste à s’appuyer sur la production artistique pour développer les compétences des élèves dans de nombreux domaines : bien évidemment en matière artistique et culturelle, mais aussi en histoire, en mathématiques, en expression orale, en langues étrangères…
Chaque année, les élèves sont répartis en groupes (selon leur âge et leur niveau de compétence) et chaque groupe a la charge d’étudier différents artistes et mouvements artistiques, en intégrant les points de vue esthétiques, historiques, techniques, etc.
On remarque d’ailleurs que c’est la reproduction la plus fidèle possible des techniques de création originelles (dimension patrimoniale) qui est recherchée plus que la création originale des élèves.
Les effets de cette démarche de projet sont assez clairs en termes d’engagement et de motivation des élèves, mais aussi en termes d’estime de soi et de reconnaissance de son travail.
Les visites guidées, par exemple, ne manquent jamais de volontaires, au point que des listes d’attente ont du être mises en place, malgré la difficulté que représente une telle performance (s’approprier une présentation historique et culturelle de l’oeuvre, s’exprimer devant des publics variés, parfois dans une langue étrangère…) !
Il est amusant de constater que c’est en l’occurrence au nom des compétences clés, si fréquemment décriées ailleurs pour leur utilitarisme néo-libéral, que cet établissement espagnol a mis en place un projet qui repose sur la reproduction et la transmission de l’héritage culturel !
Dans un système espagnol plutôt fédéral, ce sont les régions qui exercent l’essentiel des attributions de pilotage en matière d’éducation (bien que le gouvernement actuel semble revenir sur ces équilibres).
C’est dans ce contexte que les participants du réseau KeyCoNet sont allés observer la mise en oeuvre des compétences dans la politique éducative dans la région d’Andalousie, plus précisément autour de Séville.
Dans cette région assez pauvre, qui connait un sous-développement économique et éducatif de longue date, un programme régional spécifique (“PICBA”) a été mis en place, consacré à l’enseignement et l’apprentissage des compétences. Impliquant environ 82 établissements scolaires (enseignement primaire et secondaire) et 4000 enseignants, le programme concerne à la fois la formation des enseignants, le développement curriculaire ou la production de ressources pédagogiques autour des compétences.
Travailler sur des thèmes communs
Concrètement, dans des établissements à l’image de l’école secondaire IES Itaca, cela se traduit par des initiatives pédagogiques privilégiant ce que nous appellerions des projets interdisciplinaires (plusieurs disciplines travaillant sur le même thème), des productions communes à forte visibilité (notamment dans le domaine artistique et culturel), le recours fréquent au travail en groupe (des élèves comme des enseignants), le décloisonnement des emplois du temps, l’usage de certains outils des TIC (tableau blanc interactif, sites web, documents partagés..).
Cette volonté de travailler les différentes compétences autour de thèmes communs peut aller assez loin. Une école primaire (CEIP Miguel de Cervantes) a ainsi développé un projet pédagogique complet autour du thème de la culture des fraises, thème familier à l’ensemble des parents et des élèves. L’école est en effet située dans la province de Huelva (extrême sud ouest de l’Espagne), région connue pour sa (mono)culture de la fraise depuis les années 60. Le choix a donc été fait de monter une unité d’enseignement composée de 15 séquences didactiques relatives à la culture et à l’exploitation de la fraise, permettant de décliner différents apprentissages autour du thème (cycle biologique du fruit, démographie locale des travailleurs de la fraise, développement économique et historique, représentation graphique de la production, composer une pièce autour de la fraise, principaux termes anglais pour présenter la culture de la fraise, etc.).
Des leviers pour mieux impliquer les élèves dans leurs apprentissages
Au sein de l’école Félix Rodriguez de la Fuente de Séville, l’apprentissage a été organisé autour d’unités d’enseignement intégré, choisies par les enseignants comme thème général à décliner dans l’ensemble des aires curriculaires pendant une année scolaire. Lors de la visite que nous avons effectuée en octobre 2012, le thème était celui des pays de l’Union européenne. Chaque classe avait choisi d’étudier un pays en détail : symboles nationaux, langue, traditions, gastronomie, culture, arts, etc.
Les domaines étudiés donnaient lieu à diverses activités pédagogiques (lecture, écriture, chants, calcul, dessin, initiation à une langue étrangère…) individuelles et collectives.
De nombreux travaux confectionnés par les élèves (posters, dessins, graphiques, tableaux…) aux couleurs des différents pays tapissaient ainsi les couloirs, autant dans un souci d’évaluation formative que de valorisation des élèves et d’information pour les visiteurs.
Les premiers visiteurs concernés sont en l’occurrence les parents, qui peuvent constater chaque jour l’évolution des activités dans les classes, les couloirs devenant une sorte de portfolio mural de leurs enfants.
Certaines activités pratiquées à la maison, comme des reportages photos légendés de l’exécution d’une recette étrangère, inscrivent d’ailleurs clairement le travail pédagogique à cheval entre l’école et la famille.
S’il n’est pas possible d’évaluer lors d’une visite les effets de ces pratiques pédagogiques sur les apprentissages des élèves, il apparaît en revanche que ces derniers sont largement engagés dans leur vie scolaire, et apparemment plus motivés qu’auparavant aux dires des enseignants.
La mise en place de l’enseignement par projets, à la place des traditionnels séquences basées sur les manuels scolaires, a demandé des efforts substantiels à l’équipe pédagogique et a nécessité une information constante des parents.Le dispositif repose largement sur l’implication collective des enseignants (qui disposent d’une salle des professeurs plaisante et visiblement utilisée) et l’insertion de l’école dans les réseaux de coordination pédagogique régionaux
En retour, le soutien et l’implication des familles dans la scolarité des enfants semblent s’être largement améliorés.
Une école musée bien vivante
L’établissement d’enseignement secondaire José Maria Infantes se présente lui même comme une école musée (escuela mueso). Ce n’est pas dans l’architecture et les équipements, banalement contemporains, qu’on identifiera ces caractéristiques particulières, ni en scrutant les élèves ou les enseignants, qui ressemblent heureusement à n’importe quelle population scolaire de ce début du 21° siècle. On comprend en revanche la revendication de “musée” en découvrant un peu partout des peintures et des sculptures qui reproduisent des chefs d’oeuvre bien connus de l’humanité dans les couloirs, sur les murs, les plafonds, les portes et les salles de classe.
Toutes les époques et tous les styles sont représentés et c’est assez intriguant d’observer une classe ordinaire de mathématiques se dérouler sous le regard des “Marylin” d’Andhy Wahrol ou des groupes d’élèves consulter leur portables dans le hall devant une grande reproduction de l’école d’Athènes.
L’ensemble de ces répliques a été réalisé dans un vaste atelier de travail, dans lequel on peut voir durant toute la journée des élèves, seuls ou en groupe, répliquer un sarcophage égyptien ou un tableau de Picasso en jonglant avec les moyens technologiques les plus modernes comme avec les techniques et les matériaux plus anciens utilisés pour la réalisation de l’oeuvre originale.
Ces oeuvres sont régulièrement présentées et commentées (en espagnol, anglais ou français) lors de visites guidées à destination de publics variées.
L’objectif global consiste à s’appuyer sur la production artistique pour développer les compétences des élèves dans de nombreux domaines : bien évidemment en matière artistique et culturelle, mais aussi en histoire, en mathématiques, en expression orale, en langues étrangères…
Chaque année, les élèves sont répartis en groupes (selon leur âge et leur niveau de compétence) et chaque groupe a la charge d’étudier différents artistes et mouvements artistiques, en intégrant les points de vue esthétiques, historiques, techniques, etc.
On remarque d’ailleurs que c’est la reproduction la plus fidèle possible des techniques de création originelles (dimension patrimoniale) qui est recherchée plus que la création originale des élèves.
Les effets de cette démarche de projet sont assez clairs en termes d’engagement et de motivation des élèves, mais aussi en termes d’estime de soi et de reconnaissance de son travail.
Les visites guidées, par exemple, ne manquent jamais de volontaires, au point que des listes d’attente ont du être mises en place, malgré la difficulté que représente une telle performance (s’approprier une présentation historique et culturelle de l’oeuvre, s’exprimer devant des publics variés, parfois dans une langue étrangère…) !
Il est amusant de constater que c’est en l’occurrence au nom des compétences clés, si fréquemment décriées ailleurs pour leur utilitarisme néo-libéral, que cet établissement espagnol a mis en place un projet qui repose sur la reproduction et la transmission de l’héritage culturel !
Par Olivier Rey
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