Depuis plusieurs décennies, elle fait reculer la pauvreté dans le monde tout en creusant les écarts de revenus dans les pays développés. Si l'on veut que le développement à venir de l'Afrique n'accentue pas cette tendance, il est temps de songer à lui faire prendre d'autres formes.
Pour ses thuriféraires, la mondialisation est une chance dont chacun peut bénéficier. Pour ses détracteurs, c’est une usine à produire des inégalités. Le problème, c’est que les deux affirmations sont vraies et fausses en même temps…
Pendant tout le dix-neuvième siècle et une bonne partie du vingtième, les choses étaient relativement simples: une partie du monde –en gros, l’Europe et les Etats-Unis–, se développait très vite et s’enrichissait. Certains dénonçaient bien le pillage du tiers-monde, de ses richesses minières, de ses productions agricoles, etc., mais cette forme-là de mondialisation de l’économie ne troublait pas grand monde dans nos contrées.
La montée en puissance du Japon et d’un certain nombre de «dragons asiatiques» a commencé à faire peur, au fur et à mesure de l’affaiblissement voire de la disparition d’un certain nombre de nos industries. Et l’entrée en lice de la Chine, en faisant basculer les rapports de forces, a définitivement inscrit dans le débat public le lien entre mondialisation et inégalités: d’un côté ceux qui profitent de la formation d’un marché mondial et s’enrichissent, de l’autre ses victimes, qui basculent dans la précarité ou la pauvreté.
L’extrême pauvreté recule
Pourtant, la situation est plus compliquée qu’il n’y paraît. Reprenons par exemple les objectifs du Millénaire pour le développement, dans le cadre de l’Organisation des Nations unies.
Premier objectif: réduire de moitié la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, définie comme le fait de disposer de moins de 1,25 dollar (0,95 dollar) par jour, entre 1990 et 2015. L’objectif aura été atteint avant la date prévue: le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est passé de 2 milliards en 1990 à moins de 1,4 milliard en 2008, de 47% de la population mondiale à moins de 24%. Ce qui n’est finalement pas trop mal pour un système économique mondial accusé de tous les maux.
Le Programme des nations-unies pour le développement (Pnud) constate dans son rapport 2013 sur le développement humain une forte expansion de la classe moyenne dans la population mondiale, particulièrement dans la zone Asie-Pacifique, où elle passerait de 525 millions de personnes en 2009 à 1,740 milliard en 2020 et 3,228 milliards en 2030.
Précision: la classe moyenne est ici définie comme l‘ensemble très large des individus qui gagnent ou dépensent entre 10 et 100 dollars par jour, les calculs étant faits sur la base des parités de pouvoir d’achat en 2005 (on ne fait pas la même chose avec un dollar aux Etats-Unis ou en Inde).
Deux décennies qui changent tout
L’économiste François Bourguignon (auteur de La Mondialisation de l’inégalité au Seuil en 2012) le rappelait le 12 juin dernier lors du 30ème Rendez-vous de la mondialisation organisé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective et le Cepii:
«De 1989 à 2010, en vingt ans, on a effacé au niveau mondial la hausse des inégalités du vingtième siècle.»
Cela se voit par exemple à l’évolution du coefficient de Gini (indicateur qui, à zéro, reflète une égalité parfaite; à 1 –ou 100 %–, une seule personne perçoit tous les revenus). Après avoir monté de façon constante pendant tout le siècle dernier, cet indicateur d’inégalité a commencé à reculer à partir de 1990, du fait de l’enrichissement rapide des grands pays émergents.
Mais cette heureuse évolution ne doit pas en cacher une autre, beaucoup moins favorable: les inégalités se creusent de nouveau au sein des pays développés, au point d’effacer tout ou partie des progrès enregistrés tout au long du siècle dernier. C’est particulièrement net quand on regarde le poids des 5% les plus riches dans le total des revenus.
Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, on est pratiquement revenu à la situation de 1920. Ce mouvement, très fort entre la fin des années 80 et le début des années 2000, est visible même dans des pays comme la Suède.
L’explication est simple: la part des revenus du travail baisse dans le PIB au détriment des revenus du capital. Comme le capital est plus concentré, cette tendance conduit inexorablement à une croissance des inégalités.
Une idée à creuser
Faut-il en conclure que la mondialisation est la cause de cette montée des inégalités au sein des pays développés? François Bourguignon constate la concomitance des phénomènes, il n’établit pas de lien de cause à effet entre les deux.
D’un point de vue scientifique, il a raison: il est toujours extrêmement difficile d’établir une relation de causalité entre deux phénomènes. Le fait qu’ils se produisent simultanément ne suffit pas. Néanmoins, l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale s’interroge: il se demande si «la Chine aurait pu se développer de façon plus introvertie».
Il n’apporte pas la réponse, mais le seul fait de poser la question est intéressant. A défaut de refaire l’histoire, on peut en tirer certains enseignements.
Le fait d’avoir transformé la Chine en atelier du monde, par la magie d’une alliance inimaginable quelques décennies plus tôt entre le parti communiste chinois et les grands groupes capitalistes américains, européens et asiatiques, a eu des effets économiques et sociaux que l’on n’a pas encore fini de mesurer. Et ce n’est pas terminé.
La production chinoise monte en gamme. Du fait de la réévaluation progressive du yuan et de la montée des salaires, elle ne sera bientôt plus compétitive pour les produits les plus courants, mais elle est déjà prête pour la phase ultérieure, celle des produits à plus forte valeur ajoutée. Par ailleurs, ce qui ne se fera plus en Chine pourra se faire dans d’autres pays d’Asie où la main-d’œuvre est encore bon marché.
Et déjà les industriels commencent à regarder vers l’Afrique, qui pourrait passer de 1 milliard d’habitants en 2010 à 2 milliards en 2050. Le prochain réservoir de main-d’œuvre est là. L’émergence de l’Afrique a de fortes chances d’être le grand événement économique de ce siècle.
Pour ses thuriféraires, la mondialisation est une chance dont chacun peut bénéficier. Pour ses détracteurs, c’est une usine à produire des inégalités. Le problème, c’est que les deux affirmations sont vraies et fausses en même temps…
Pendant tout le dix-neuvième siècle et une bonne partie du vingtième, les choses étaient relativement simples: une partie du monde –en gros, l’Europe et les Etats-Unis–, se développait très vite et s’enrichissait. Certains dénonçaient bien le pillage du tiers-monde, de ses richesses minières, de ses productions agricoles, etc., mais cette forme-là de mondialisation de l’économie ne troublait pas grand monde dans nos contrées.
La montée en puissance du Japon et d’un certain nombre de «dragons asiatiques» a commencé à faire peur, au fur et à mesure de l’affaiblissement voire de la disparition d’un certain nombre de nos industries. Et l’entrée en lice de la Chine, en faisant basculer les rapports de forces, a définitivement inscrit dans le débat public le lien entre mondialisation et inégalités: d’un côté ceux qui profitent de la formation d’un marché mondial et s’enrichissent, de l’autre ses victimes, qui basculent dans la précarité ou la pauvreté.
L’extrême pauvreté recule
Pourtant, la situation est plus compliquée qu’il n’y paraît. Reprenons par exemple les objectifs du Millénaire pour le développement, dans le cadre de l’Organisation des Nations unies.
Premier objectif: réduire de moitié la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, définie comme le fait de disposer de moins de 1,25 dollar (0,95 dollar) par jour, entre 1990 et 2015. L’objectif aura été atteint avant la date prévue: le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est passé de 2 milliards en 1990 à moins de 1,4 milliard en 2008, de 47% de la population mondiale à moins de 24%. Ce qui n’est finalement pas trop mal pour un système économique mondial accusé de tous les maux.
Le Programme des nations-unies pour le développement (Pnud) constate dans son rapport 2013 sur le développement humain une forte expansion de la classe moyenne dans la population mondiale, particulièrement dans la zone Asie-Pacifique, où elle passerait de 525 millions de personnes en 2009 à 1,740 milliard en 2020 et 3,228 milliards en 2030.
Précision: la classe moyenne est ici définie comme l‘ensemble très large des individus qui gagnent ou dépensent entre 10 et 100 dollars par jour, les calculs étant faits sur la base des parités de pouvoir d’achat en 2005 (on ne fait pas la même chose avec un dollar aux Etats-Unis ou en Inde).
Deux décennies qui changent tout
L’économiste François Bourguignon (auteur de La Mondialisation de l’inégalité au Seuil en 2012) le rappelait le 12 juin dernier lors du 30ème Rendez-vous de la mondialisation organisé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective et le Cepii:
«De 1989 à 2010, en vingt ans, on a effacé au niveau mondial la hausse des inégalités du vingtième siècle.»
Cela se voit par exemple à l’évolution du coefficient de Gini (indicateur qui, à zéro, reflète une égalité parfaite; à 1 –ou 100 %–, une seule personne perçoit tous les revenus). Après avoir monté de façon constante pendant tout le siècle dernier, cet indicateur d’inégalité a commencé à reculer à partir de 1990, du fait de l’enrichissement rapide des grands pays émergents.
Mais cette heureuse évolution ne doit pas en cacher une autre, beaucoup moins favorable: les inégalités se creusent de nouveau au sein des pays développés, au point d’effacer tout ou partie des progrès enregistrés tout au long du siècle dernier. C’est particulièrement net quand on regarde le poids des 5% les plus riches dans le total des revenus.
Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, on est pratiquement revenu à la situation de 1920. Ce mouvement, très fort entre la fin des années 80 et le début des années 2000, est visible même dans des pays comme la Suède.
L’explication est simple: la part des revenus du travail baisse dans le PIB au détriment des revenus du capital. Comme le capital est plus concentré, cette tendance conduit inexorablement à une croissance des inégalités.
Une idée à creuser
Faut-il en conclure que la mondialisation est la cause de cette montée des inégalités au sein des pays développés? François Bourguignon constate la concomitance des phénomènes, il n’établit pas de lien de cause à effet entre les deux.
D’un point de vue scientifique, il a raison: il est toujours extrêmement difficile d’établir une relation de causalité entre deux phénomènes. Le fait qu’ils se produisent simultanément ne suffit pas. Néanmoins, l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale s’interroge: il se demande si «la Chine aurait pu se développer de façon plus introvertie».
Il n’apporte pas la réponse, mais le seul fait de poser la question est intéressant. A défaut de refaire l’histoire, on peut en tirer certains enseignements.
Le fait d’avoir transformé la Chine en atelier du monde, par la magie d’une alliance inimaginable quelques décennies plus tôt entre le parti communiste chinois et les grands groupes capitalistes américains, européens et asiatiques, a eu des effets économiques et sociaux que l’on n’a pas encore fini de mesurer. Et ce n’est pas terminé.
La production chinoise monte en gamme. Du fait de la réévaluation progressive du yuan et de la montée des salaires, elle ne sera bientôt plus compétitive pour les produits les plus courants, mais elle est déjà prête pour la phase ultérieure, celle des produits à plus forte valeur ajoutée. Par ailleurs, ce qui ne se fera plus en Chine pourra se faire dans d’autres pays d’Asie où la main-d’œuvre est encore bon marché.
Et déjà les industriels commencent à regarder vers l’Afrique, qui pourrait passer de 1 milliard d’habitants en 2010 à 2 milliards en 2050. Le prochain réservoir de main-d’œuvre est là. L’émergence de l’Afrique a de fortes chances d’être le grand événement économique de ce siècle.
Il n’y a pas de fatalité
Si l’on ne veut pas que le développement de ce continent ait les mêmes conséquences pour les pays développés que celui de la Chine, il serait bon de réfléchir à d’autres modèles de croissance. Car, on l’a bien compris, il ne s’agit pas de refuser la mondialisation. Il s’agit de réfléchir à lui faire prendre d’autres formes, dans lesquelles la hausse du niveau de vie dans les pays émergents ne se ferait pas au détriment de la majorité de la population des pays développés.
Cela remettrait en cause bien des schémas de pensée et bousculerait sans doute certains intérêts, mais si la mondialisation est encore vécue dans les prochaines années comme un facteur de paupérisation dans les pays développés, elle suscitera des mouvements de protestation beaucoup plus violents et politiquement incontrôlables que tous ceux que nous avons connus jusqu’ici.
Que mondialisation soit synonyme d’inégalités n’est pas une fatalité. Angela Merkel ne disait pas autre chose, le 19 juin dernier, en recevant Barack Obama à Berlin:
«Oui, nous voulons organiser la mondialisation, mais pas n’importe comment, sur le fondement de nos valeurs communes.»
A quoi le président des Etats-Unis a répondu qu’il ne fallait pas perdre de vue que l’objectif principal devait être «de rendre la vie de nos peuples meilleure». Chiche!
Gérard Horny
Publié le 26/06/2013
Si l’on ne veut pas que le développement de ce continent ait les mêmes conséquences pour les pays développés que celui de la Chine, il serait bon de réfléchir à d’autres modèles de croissance. Car, on l’a bien compris, il ne s’agit pas de refuser la mondialisation. Il s’agit de réfléchir à lui faire prendre d’autres formes, dans lesquelles la hausse du niveau de vie dans les pays émergents ne se ferait pas au détriment de la majorité de la population des pays développés.
Cela remettrait en cause bien des schémas de pensée et bousculerait sans doute certains intérêts, mais si la mondialisation est encore vécue dans les prochaines années comme un facteur de paupérisation dans les pays développés, elle suscitera des mouvements de protestation beaucoup plus violents et politiquement incontrôlables que tous ceux que nous avons connus jusqu’ici.
Que mondialisation soit synonyme d’inégalités n’est pas une fatalité. Angela Merkel ne disait pas autre chose, le 19 juin dernier, en recevant Barack Obama à Berlin:
«Oui, nous voulons organiser la mondialisation, mais pas n’importe comment, sur le fondement de nos valeurs communes.»
A quoi le président des Etats-Unis a répondu qu’il ne fallait pas perdre de vue que l’objectif principal devait être «de rendre la vie de nos peuples meilleure». Chiche!
Gérard Horny
Publié le 26/06/2013
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