Publiée dimanche 23 juin dans la revue de l'Académie des sciences américaine, l'étude conduite par le biologiste Robert Jackson, professeur à la Duke University à Durham (Etats-Unis), devrait relancer l'affrontement entre les tenants et les adversaires de l'exploitation du gaz de schiste. Et fournir de nouveaux arguments à ces derniers.
De fait, les travaux du chercheur américain mettent en évidence, dans le nord-est de la Pennsylvanie, de fortes teneurs en méthane (CH4) des eaux souterraines prélevées autour des puits de gaz non conventionnel. Cette pollution n'est pas circonscrite aux abords immédiats des gisements : elle concerne les zones situées jusqu'à un kilomètre autour des points de forage.
Les scientifiques ont analysé l'eau issue de 141 points de prélèvement dans les nappes phréatiques de cette partie des Appalaches. Environ 80 % des échantillons étudiés montrent des teneurs mesurables de méthane – l'hydrocarbure qui forme l'essentiel du gaz extrait. Loin des puits, les niveaux enregistrés sont généralement faibles. En revanche, à moins d'un kilomètre de la production, les niveaux de contamination sont six fois plus élevés, en moyenne.
TENEUR IMPORTANTE EN MÉTHANE
Les scientifiques ont cherché d'autres causes possibles à ces teneurs élevées en méthane (composition du sous-sol, topographie) mais le seul paramètre permettant de les expliquer est, selon leur analyse, la présence proche d'un forage. En outre, les auteurs ont examiné la signature isotopique du méthane retrouvé dans les nappes : plus les forages sont proches, plus cette signature est caractéristique du méthane piégé dans les roches profondes. La présence d'hydrocarbures dans les aquifères, lorsqu'elle dépasse un certain seuil, n'est donc pas imputable à des contaminations de bactéries "méthanogènes".
Les concentrations de méthane mesurées près des puits ne sont pas anecdotiques. Pour une vingtaine d'échantillons, tous ou presque situés à moins d'un kilomètre des forages, la teneur en méthane excède 10 milligrammes par litre (mg/l), seuil de préoccupation pour les autorités sanitaires américaines. Dans une douzaine de cas, l'hydrocarbure est présent, dans une eau présumée potable, à plus de 28 mg/l – soit le seuil d'"action immédiate", selon la réglementation en vigueur. L'eau la plus contaminée affiche une teneur en méthane de près de 70 mg/l.
Si le lien avec l'exploitation du gaz de schiste ne semble pas faire de doute, il n'est pas possible – en l'état – d'incriminer la technique de fracturation hydraulique elle-même. Celle-ci consiste à injecter sous haute pression et à très grande profondeur (plus d'un kilomètre en général) de l'eau mêlée à du sable et à des adjuvants chimiques. Ainsi fracturée, la roche libère les hydrocarbures qu'elle séquestre.
RISQUE DE FISSURES DANS LE SOUS-SOL
Pour ses adversaires, cette technique présente le risque d'ouvrir de longs réseaux de fissures dans le sous-sol, susceptibles de mettre en relation des réservoirs de gaz et des nappes phréatiques. Sans exclure ce processus assez improbable, les chercheurs américains jugent plus crédibles de mauvaises pratiques de forage : défauts de cimentation des puits, etc.
Une telle interprétation des résultats est appuyée par une autre découverte. Les niveaux de contamination des nappes phréatiques ne seraient pas uniquement liés à la distance qui les sépare des puits de gaz de schiste. L'âge de ces derniers semble également jouer un rôle. "Dans nos données, il y a une petite tendance àvoir des concentrations de méthane augmenter avec l'âge des puits", écrivent les chercheurs.
Deux explications sont proposées pour expliquer ce lien. La première est que les puits vieillissent mal et que leur étanchéité diminue à mesure que le temps passe. Dans ce cas, "les problèmes de potabilité de l'eau pourraient s'accroître au fil des années". La seconde serait que "les pratiques de forage s'améliorent avec le temps". Pour trancher, les auteurs de l'étude appellent à lancer rapidement de nouvelles études.
Stéphane Foucart
LE MONDE | 24.06.2013
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