lundi 22 juillet 2013

"Géopolitique de l'Internet, qui gouverne le monde ?"

Voici un livre que j'ai lu avec grand intérêt, vous vous en doutez. Il parle à la fois de géopolitique, et d'une partie importante du cyber qu'est Internet. Je précise en effet la chose, car beaucoup confondent l’Internet et le cyberespace, qui sont des notions jointes, mais distinctes. Il ne s'agit donc pas d'une géopolitique du cyberespace (le sujet mérite un livre, ne vous inquiétez pas, il va venir prochainement) mais d'une géopolitique de l'Internet : je l'écris à la fois avec une Majuscule et un article, pour bien signifier qu'il s'agit d'une chose identifiée (et non un espèce de nom propre, deus superior, comme on le sous-entend quand on dit "j'ai été sur Internet"), et qu'il s’agit d'une chose identifiée (la majuscule signifiant en effet le réseau des réseau, public, à la différentes des internet locaux, privé, qui peuvent -ou pas- être branchés sur l'Internet, le grand.




David Fayon est un spécialiste de la chose, puisqu'il a déjà écrit plusieurs livres sur l'Internet, le web 2.0, les réseaux sociaux. On remarque une préface de Joel de Rosnay (il faudra que je vous reparle de ce monsieur, certes médiatique mais précurseur) et une postface de Michel Volle, qui n'a pas dit que des choses stupides (pléonasme) sur le cyber et l'économie) : ce n'est pas rien. Mais les présentateurs ne font pas forcément la qualité du bouquin, il faut donc aller voir ce qu'il a dans le ventre.

Le livre est articulé en huit chapitres, auxquels sont adjoints sept annexes, un glossaire, un liste des sigles de références et une bibliographie : voici donc œuvre utile et pratique, avec, disons le immédiatement, une ambition pédagogique qu'il faut saluer : le béotien, qui ne sait pas trop de quoi il s'agit mais a un peu envie de réfléchir, se verra expliquer, pas à pas, des aspects techniques, mais aussi des enjeux politiques, de façon simple et lisible, avec un style limpide. Bref, c'est sérieux et agréable à lire.

Le premier chapitre s'intitule "Historique et notions fondamentales du numérique". But atteint, puisqu'on révise ou apprend certains aspects techniques, mais aussi les "principes" initiaux d'Internet : accessibilité, ouverture, interopérabilité et neutralité. Notions qui n'ont l'air de rien, mais qui animent les débats entre les militants et les grosses structures (à savoir les opérateur d'Internet, et au-delà les grandes sociétés).

Le deuxième chapitre se nomme "de la géopolitique d'Internet". Là, le géopolitologue que je suis est forcément moins convaincu : je suis probablement trop spécialiste et souffre du défaut "propriétaire". Il reste que je trouve dommage qu'on n'ait pas eu de définition proposée de géopolitique, qui nous aurait permis d’apprécier ce que l'auteur allait traiter. Certes, on le comprend par défaut, j'allais dire en filigrane, mais ce petit défaut méthodologique est un peu dommage. La description des différentes écoles de gouvernance d'Internet" est bien faite : si j'osais, on pourrait presque voir des analogies avec les écoles réaliste ou idéaliste de la théorie des relations internationales, mais c'est déjà mon côté pédant qui ressort. Je me mets toutefois à la place du lecteur normal, qui ne baigne pas comme moi dans ce business depuis quelques années : au fond, un des principaux problèmes de la géopolitique de l’Internet est celui de sa "gouvernance", mot certes à la mode mais qui renvoie au pouvoir. Et derrière ce mot de pouvoir, on aperçoit des rivalités entre des acteurs très divers : notablement, les États ne sont pas au premier rang. On a d'abord des institutions collectives (ICANN, UIT), on a ensuite des acteurs non étatiques : internautes (citoyens du web ? utilisateurs ? consommateurs ? au fon, la triple nature de l'internaute est une difficulté sous-jacente), d'une part, mais aussi entreprises, certaines spécialisées dans l'Internet (avec d'ailleurs des logiques de pouvoir différentes entre les FAI, les opérateurs, et les fournisseurs de plate-forme), les autres pas.

Le troisième chapitre traite de considérations techniques et politiques préalables, et l'auteur revient à son aise et nous explique, au travers de la notion de routage, à quel point il y a une "géographie politique" de l'Internet, ce que j'avais brièvement évoqué dans mon introduction à la cyberstratégie.

C'est ce que vient confirmer le quatrième chapitre, qui traite des zones d'influence et des acteurs. (la citation d'entrée de chapitre évoque la technétronique de Brzrezinsky, dont je vous ai déjà parlé : je vois que ces références perdurent, et qu'on va relire Zbigniew). On voit ici le jeu des différentes institutions que nous avons évoquées, mais aussi apparaître les stratégies des États.

Le chapitre 5 parle des enjeux économiques, auxquels nous avons déjà fait allusion, et qui explique les rapports entre les différents acteurs de la "chaine de valeur" de l’Internet, et comment certains réussissent à monopoliser du "pouvoir" par rapport à d'autres. Le passage sur les monnaies privées et, à mon goût, un peu court et aurait mérité de plus amples développements.

Je n'ai pas été très convaincu du chapitre 6 sur "la transformation de la société par Internet". Certains thèmes sont pourtant importants (droit, média,s "pouvoir démocratique de l'internaute) : j'ai encore dû être victime de ma connaissance du sujet, et ne pas me mettre assez à la place du lecteur qui découvre ces problématiques pour la première fois.

Le septième chapitre sur les "menaces" était probablement le plus attendu : il est bien troussé et je n'ai pas sursauté de rage comme cela m'arrive parfois, à la lecture d'auteurs qui racontent des banalités : ici, c'est sérieux et bien fait (même si je discute la notion de "cyberguerre asymétrique", mais voici typiquement le genre de débats de spécialistes de cyberstratégie). Je signale au passage une affirmation qui me semble inexacte, quand l'auteur écrit qu'un "texte de droit international serait favorablement accueilli par les Etats occidentaux" (p. 146) : au contraire, la Russie et la Chine sont les États qui réclament le plus un traité international, qui serait pour eux le moyen de faire pièce au pouvoir de fait des Américains en matière de gestion d'Internet, ce que l'auteur a bien démontré par ailleurs.

Le huitième chapitre présente des éléments de prospective de l'internet, forcément passionnants.

Voici donc un livre solide, bien écrit, très pédagogique, destiné au grand public cultivé, avec énormément de schémas et d'aides explicatives. On y apprend tout un tas de choses, et on perçoit bien les enjeux. Autrement dit, c'est une réussite, hormis quelques micro défauts qui seront logiquement corrigés dans la deuxième édition.

Géopolitique de l'Internet, qui gouverne le monde ?
David Fayon
Economica, mars 2013
24 euros
Le blog de D. Fayon

Par Olivier Kempf le dimanche, juillet 21 2013, 22:18

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