jeudi 25 juillet 2013

Les nécessaires transformations du livre




Quelles modifications apporte le livre numérique sur nos habitudes ? En 2009, une série d'entretiens recueillis sous le titre de N'espérez pas vous débarrasser des livres, s'était intéressée à la question.

« La question est de savoir quel changement introduira la lecture sur écran à ce que nous avons jusqu'à ce jour approché en tournant les pages des livres ? Que gagnerons-nous avec ces nouveaux petits livres blancs, et d'abord, que perdrons-nous ? », questionne Jean-Philippe de Tonnac dans sa préface à N'espérez pas vous débarrasser des livres*. Cette série d'entretiens, menée en compagnie du linguiste et romancier Umberto Eco et du fondateur de la Fémis Jean-Claude Carrière, s'intéresse aux changements apportés par l'irruption de l'informatique dans l'histoire du livre. Quatre ans après la publication du recueil d'entretiens, le sujet demeure toujours d'actualité tandis qu'en France la numérisation du livre ne montre pas autant de succès que dans le monde anglo-saxon. Jean-Philippe de Tonnac poursuit : « L'enjeu des échanges entre Jean-Claude Carrière et Umberto Eco n'était pas de statuer sur la nature des transformations et perturbations que peut annoncer l'adoption à grande échelle (ou non) du livre électronique. Leur expérience […] les amène plutôt ici à considérer que le livre est, comme la roue, une sorte de perfection indépassable dans l'ordre de l'imaginaire. »

Le livre numérique possède le même statut qu'a pu l'avoir le cinéma sur le théâtre peu après son invention, et la télévision sur le cinéma. Ces inventions ont pu être considérées, de leur temps, comme des techniques qui allaient remplacer leur prédécesseur. Force est de constater qu'en 2013, ni le théâtre, ni le cinéma n'ont disparu face à la télévision. Pour les penseurs réunis autour de sujet de discussion, le livre numérique ne tuera donc pas le livre même si, fatalement, on peut s'attendre à une vulgarisation du livre numérique pour des moyens de commodités – il est bien plus facile de transporter sa bibliothèque à travers une liseuse qu'une valise. L'histoire du papier montre comment le livre a déjà survécu à bien des transformations. Objet protéiforme par nature, le livre s'est décliné sur des matières différentes à travers les lieux et les époques. Feuille de palmier en Inde et en Asie du Sud-Est, lattes de bambou et rouleaux de soie en Chine, les rouleaux de papyrus pendant l'Antiquité ou encore le parchemin à partir du Moyen-Âge en Occident, différentes méthodes ont été utilisées à travers les âges pour finalement se numériser, en un nombre d'années très court sur beaucoup de supports informatiques : disquettes, CD ROMs, clefs usb et aujourd'hui tablettes et téléphones portables. L'informatisation, ou la numérisation, du livre pose aujourd'hui le problème de la lecture des textes. « Nous pouvons donc encore lire un texte imprimé il y a cinq siècles, fait remarquer Jean-Claude Carrière au cours des entretiens. Mais nous ne pouvons plus lire,nous ne pouvons plus voir, une cassette électronique ou un CD ROM vieux de quelques années à peine. A moins de conserver nos vieux ordinateurs dans nos caves. »

Les possibilités de stockage développées par ces nouveaux supports questionnent par la suite bien d'autres thèmes au cours de ces entretiens. La mémoire est l'une des nombreuses problématiques soulevées par Umberto Eco et Jean-Claude Carrière au cours des entretiens. L'accélération de la production des différents types de support, CD ROMs, USBs, smartphones... porte avec elle la modification des types de pensée. « Chaque nouvelle technologie implique l'acquisition d'un nouveau système de réflexes, lequel exige de nous de nouveaux efforts, et ce dans un délai de plus en plus court, explique Umberto Eco. Il a fallu près d'un siècle aux poules pour apprendre à ne pas traverser la route. L'espèce a fini par s'adapter aux nouvelles conditions de circulation. Mais nous ne disposons pas de ce temps. » Les penseurs montrent ainsi que, s'il est possible d'emmagasiner des informations jusqu'à un certain point, il arrive un moment où l'être humain ne peut plus recevoir d'informations – il est dépassé par les jeunes générations qui, elles, s'adaptent à leur tour aux nouvelles technologies. Le travail de la mémoire en est chamboulé. Là où le livre demeurait une manière d'inscrire la mémoire et, in fine, la culture d'une société, il s'agit aujourd'hui de stocker de plus en plus de données, de les oublier et, finalement d'en redécouvrir certaines. Comme le fait remarquer l'universitaire italien au détour d'une réflexion sur la mémoire : « la culture est un cimetière de livres et d'autres objets à jamais disparus ».

*ECO, Umberto, CARRIERE, Jean-Claude, DE TONNAC, Jean-Philippe, N'espérez pas vous débarrasser des livres. Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2009, 281 p.

Par Guillaume Parodi 24 juillet 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire