La société française, et en son sein notre génération en particulier, s'interroge : la politique a-t-elle encore un sens à l'heure de la mondialisation ? Quand on a le sentiment que le changement promis dans une élection nationale ne peut être réalisé qu'au prix d'efforts diplomatiques très lourds, quelle crédibilité peut-on accorder à une campagne politique nationale ? L'intérêt général, aujourd'hui fragmenté par les intérêts géopolitiques, ne doit-il pas être défendu par d'autres institutions, une forme de gouvernance mondiale ? ...
Youth Diplomacy (Y.D.) : M. Badie, beaucoup d'Européens et notamment de Français se demandent ce qu'il reste du pouvoir des Etats-nations pour défendre leurs intérêts dans la mondialisation... qu'en pensez-vous ?
Bertrand Badie (B.B.) : Historiquement, les Etats se sont construits à la sortie de l'ère féodale, du Moyen-Age, et se sont fondés sur une unité politique, le pouvoir souverain, et une unité territoriale, la Nation.
Avec la mondialisation, les deux principes fondateurs de l'Etat-Nation ont été bousculés par les interdépendances croissantes qui lient les Nations. Il se crée alors un ordre international dans lequel la survie des uns se fait au dépend de celle des autres, et où les individus tissent des liens au-delà des frontières, indépendamment des organisations étatiques grâce aux nouveaux moyens de communication.
En conséquence, les Etats-Nations ne durent qu'en se recomposant.
Y.D. : Des tentatives pour recomposer le rôle des Etats-Nations ont déjà eu lieu ; où en sommes-nous ?
B.B. : On est encore en pleine invention sur ce sujet, car depuis la fin du monde bipolaire marquée par la chute du Mur, la communauté internationale n'arrive pas à trouver une nouvelle forme d'organisation durable.
On a successivement vu les efforts suivants :
Y.D. : Quel peut alors être le rôle des femmes et des hommes politiques, aujourd'hui nationaux ? Doivent-ils devenir de super-diplomates ? Comment prendre en compte ces évolutions dans les élections nationales ?
B.B : Le temps de la politique est un temps très court. Le discours politique est contraint par l'impératif des élections... Alors que le temps de la diplomatie est un temps long. Transformer les relations internationales en relations inter-sociales relève dès lors quasiment de l'impossible pour les hommes et femmes politiques.
C'est pourquoi la politique dans la mondialisation reste à inventer.
Y.D. : Et alors que la politique se réinvente dans la mondialisation, les intérêts privés prospèrent et défendent leurs propres intérêts ?
B.B. : La mondialisation ouvre la porte à tout le monde, absolument tout le monde : aux multinationales, aux ONG, aux médias, aux acteurs religieux, aux groupements en tous genre, et même aux individus.
Quand ces acteurs, comme les grandes entreprises, ont les ressources financières et humaines pour installer leur pouvoir, ils deviennent parfois plus puissants que certains Etats... à défaut d'une nouvelle forme d'organisation politique comme contre-pouvoir.
D'un autre côté, il y a, dans la mondialisation, le rôle croissant des sociétés elles-mêmes. C'est la multitude de liens sociaux qui composent l'espace mondial : on les a vus à l'œuvre pendant les Printemps arabes, par exemple ! Cela signifie que la souveraineté des peuples ne sera jamais abandonnée : ce refus de la domination reste une volonté historique qui ne disparaîtra jamais.
Y.D. : en fin de compte, la mondialisation n'appelle-t-elle pas une démocratie mondiale ? Une souveraineté des peuples au-delà des frontières ?
Dans les années 1920, quand le Président américain Wilson a lancé la création de l'ancêtre de l'ONU, la "Société des Nations", il voulait "démocratiser les relations internationales". Sa démarche a échoué sur les pulsions de puissance qui ont mené à la Seconde guerre mondiale.
Aujourd'hui, il reste à "démocratiser la mondialisation". Deux défis se posent car je ne crois pas, comme David Held, que cela se fera via une "démocratie mondiale".
De manière pragmatique, il faut commencer par inclure les acteurs sociaux dans la prise de décision internationale.
Le second défi est celui du multilatéralisme : mettre fin aux oligarchies internationales que sont le G8, le G20, le Conseil de Sécurité de l'ONU, etc., qui empêchent d'avoir une pensée universelle.
C'est l'idée du "multilatéralisme social" dont parlait Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l'ONU : c'est un multilatéralisme reconstitué sur un mode universel et ouvert sur les réalités sociales... comme celui qui a inspiré le Sommet de la Terre à Rio+20.
Les défaitistes disent que la consultation des acteurs non-étatiques dans ce type de sommet ONUsien ne mène nulle part. Mais franchement, qu'est ce qui est le plus décevant : des États qui n'agitent rien et n'obtiennent rien ; ou des acteurs sociaux qui certes, n'arrivent pas à faire bouger les lignes, mais au moins donnent une dynamique internationale ?
Youth Diplomacy (Y.D.) : M. Badie, beaucoup d'Européens et notamment de Français se demandent ce qu'il reste du pouvoir des Etats-nations pour défendre leurs intérêts dans la mondialisation... qu'en pensez-vous ?
Bertrand Badie (B.B.) : Historiquement, les Etats se sont construits à la sortie de l'ère féodale, du Moyen-Age, et se sont fondés sur une unité politique, le pouvoir souverain, et une unité territoriale, la Nation.
Avec la mondialisation, les deux principes fondateurs de l'Etat-Nation ont été bousculés par les interdépendances croissantes qui lient les Nations. Il se crée alors un ordre international dans lequel la survie des uns se fait au dépend de celle des autres, et où les individus tissent des liens au-delà des frontières, indépendamment des organisations étatiques grâce aux nouveaux moyens de communication.
En conséquence, les Etats-Nations ne durent qu'en se recomposant.
Y.D. : Des tentatives pour recomposer le rôle des Etats-Nations ont déjà eu lieu ; où en sommes-nous ?
B.B. : On est encore en pleine invention sur ce sujet, car depuis la fin du monde bipolaire marquée par la chute du Mur, la communauté internationale n'arrive pas à trouver une nouvelle forme d'organisation durable.
On a successivement vu les efforts suivants :
- Dans les années 1980, on a commencé à utiliser le concept de "gouvernance mondiale", qui consiste à intégrer aux relations internationales, traditionnellement relations entre Etats, les acteurs non-étatiques, comme les ONG, les médias, les entreprises... et les citoyens. Mais aucune institution internationale n'a réellement réussi à réaliser cette association dans la durée.
- Dans les années 1990, c'est le concept de "multilatéralisme" qui a été utilisé, mais il a vite été mis à mal par les déséquilibres géopolitiques de l'époque.
- Parallèlement, l'idée d'une régulation internationale s'est fondée sur la notion "d'intégration régionale". Comme dans l'Union européenne, l'idée est de traiter les questions internationales par la création d'institutions à l'échelle continentale... mais même ce modèle est aujourd'hui mis en cause.
Y.D. : Quel peut alors être le rôle des femmes et des hommes politiques, aujourd'hui nationaux ? Doivent-ils devenir de super-diplomates ? Comment prendre en compte ces évolutions dans les élections nationales ?
B.B : Le temps de la politique est un temps très court. Le discours politique est contraint par l'impératif des élections... Alors que le temps de la diplomatie est un temps long. Transformer les relations internationales en relations inter-sociales relève dès lors quasiment de l'impossible pour les hommes et femmes politiques.
C'est pourquoi la politique dans la mondialisation reste à inventer.
Y.D. : Et alors que la politique se réinvente dans la mondialisation, les intérêts privés prospèrent et défendent leurs propres intérêts ?
B.B. : La mondialisation ouvre la porte à tout le monde, absolument tout le monde : aux multinationales, aux ONG, aux médias, aux acteurs religieux, aux groupements en tous genre, et même aux individus.
Quand ces acteurs, comme les grandes entreprises, ont les ressources financières et humaines pour installer leur pouvoir, ils deviennent parfois plus puissants que certains Etats... à défaut d'une nouvelle forme d'organisation politique comme contre-pouvoir.
D'un autre côté, il y a, dans la mondialisation, le rôle croissant des sociétés elles-mêmes. C'est la multitude de liens sociaux qui composent l'espace mondial : on les a vus à l'œuvre pendant les Printemps arabes, par exemple ! Cela signifie que la souveraineté des peuples ne sera jamais abandonnée : ce refus de la domination reste une volonté historique qui ne disparaîtra jamais.
Y.D. : en fin de compte, la mondialisation n'appelle-t-elle pas une démocratie mondiale ? Une souveraineté des peuples au-delà des frontières ?
Dans les années 1920, quand le Président américain Wilson a lancé la création de l'ancêtre de l'ONU, la "Société des Nations", il voulait "démocratiser les relations internationales". Sa démarche a échoué sur les pulsions de puissance qui ont mené à la Seconde guerre mondiale.
Aujourd'hui, il reste à "démocratiser la mondialisation". Deux défis se posent car je ne crois pas, comme David Held, que cela se fera via une "démocratie mondiale".
De manière pragmatique, il faut commencer par inclure les acteurs sociaux dans la prise de décision internationale.
Le second défi est celui du multilatéralisme : mettre fin aux oligarchies internationales que sont le G8, le G20, le Conseil de Sécurité de l'ONU, etc., qui empêchent d'avoir une pensée universelle.
C'est l'idée du "multilatéralisme social" dont parlait Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l'ONU : c'est un multilatéralisme reconstitué sur un mode universel et ouvert sur les réalités sociales... comme celui qui a inspiré le Sommet de la Terre à Rio+20.
Les défaitistes disent que la consultation des acteurs non-étatiques dans ce type de sommet ONUsien ne mène nulle part. Mais franchement, qu'est ce qui est le plus décevant : des États qui n'agitent rien et n'obtiennent rien ; ou des acteurs sociaux qui certes, n'arrivent pas à faire bouger les lignes, mais au moins donnent une dynamique internationale ?
Publication: 07/06/2013 07h53
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