dimanche 24 juillet 2011

Les écosystèmes de l'innovation

Nous présentons ici cet ouvrage un peu technique mais très lisible sur l'innovation, car le sujet nul n'en ignore est vital pour l'Europe, face notamment aux pays asiatiques

Les écosystèmes de l'innovation Par Eunika Mercier Laurent, préface de Edith Cresson, Hermès Lavoisier 2011

C'est un lieu commun de dire que, sans innovation, aucune espèce biologique ne peut survivre. Si les ressources sont abondantes et si le milieu n'exerce pas une forte pression de sélection, les espèces peuvent se maintenir sans changements pendant de longues périodes. L'innovation leur est inutile. Des mutations innovantes peuvent se produire, mais les nouveaux individus en résultant ne sont pas favorisés par rapport à ceux de l'espèce en place et ils disparaissent. Il en résulte une incapacité à se diversifier et se complexifier, qui peut se révéler mortelle dès que diminuent les ressources ou qu'apparaissent de nouveaux concurrents.

Chez les organismes biologiques soumis à la compétition darwinienne, l'innovation se produit par les voies complexes de la mutation aléatoire affectant telles ou telles parties du génome reproductif. Les changements en résultant ne sont pas nécessairement favorables à de meilleurs conditions de survie. La plupart au contraire peuvent être mortels. Dans de très rares cas cependant apparaissent des formes d'organismes mieux adaptés que les parents aux nouvelles conditions du milieu. Ces nouveaux organismes, s'ils peuvent former de nouvelles lignées, présentent alors par définition des caractères différents de ceux des prédécesseurs. On pourra dire qu'il s'agit d'innovations, en ce sens qu'ils s'agit de caractères nouveaux n'existant pas auparavant. Mais ces innovations n'ont pas d'intérêt en elles-mêmes, elles n'ont d'intérêt que si elles favorisent la survie et le succès compétitif de l'espèce bénéficiaire.

Si l'on considère les organismes sociaux comme des organismes biologiques en lutte pour la survie, on voit que de la même façon l'innovation leur est indispensable pour s'adapter à des milieux changeants et à l'apparition de compétiteurs. Chaque organisme social se transforme et mute, donnant naissance à de nouvelles formes. Dans les sociétés dites froides, où ne règnent pas de fortes pressions compétitives, les innovations sont très lentes et souvent peu visibles. La tendance à conserver les anciennes formes l'emporte sur celle visant à les rajeunir et les adapter. Dans les sociétés dites « chaudes », où les organismes et les groupes sont soumis à des changements de milieux importants, les processus traditionnels perdent vite leur intérêt. Ceux qui en restent prisonniers disparaissent à plus ou moins court terme. Il s'établit donc un environnement favorable à l'apparition de formes ou de processus innovants.

Ainsi que dans le monde biologique, les mutations innovantes apparaissent d'abord sous une forme aléatoire: tel individu perçoit brutalement, sans même l'avoir voulu, l'intérêt d'un nouveau procédé. Si son idée est reçue par l'entreprise et se révèle favorable, elle sera honorée du terme d'invention. Mais comme les organismes sociaux sont composés de primates évolués dont le cerveau présente une certaine capacité à s'abstraire des tâches courantes pour réfléchir à leur amélioration, la nécessité d'encourager systématiquement les mutations adaptatives est vite apparue vitale. Ceci au détriment de ceux qui pour diverses raisons ne souhaitent pas changer leurs modes de vie et de production.

On a donc vu se généraliser dans les entreprises, dans les branches ou au niveau du milieu social tout entier des spécialistes dont le métier consiste à encourager les innovations. Mais l'innovation réussie ne se commande pas à l'avance. Il faut donc admettre le recours au plus grand nombre possible de processus innovants, en espérant que de cet ensemble naîtra le plus grand nombre possible de changements bénéficiant à la survie de l'organisme.

La mission de ces spécialistes consiste donc d'abord à constituer de véritables encyclopédies des techniques d'innovation et de leurs modes d'emploi, auxquelles chacun pourra se référer pour s'en inspirer et si possible faire mieux. Au delà de ces encyclopédies, l'organisme ou le milieu social le plus apte à innover mettra en place, délibérément mais aussi parfois sans toujours s'en rendre compte, ce que Eunika Mercier Laurent appelle un écosystème de l'innovation. Il s'agira de créer un climat permanent d'évaluation et de critique des processus existants, afin de faire apparaître les modifications ou innovations permettant de rendre plus efficace l'organisme entier.

On parlera d'écosystème ou mieux, selon le terme de l'auteur, de système d'é-co-innovation, pour marquer qu'il s'agira alors de généraliser par la mutualisation et l'échange, une tension adaptative impliquant tous les acteurs de l'organisme ou de la branche. Nous pourrions même, dans certains cas, de façon un peu caricaturale, employer le terme de e-é-co-innovation pour marquer le fait que les outils et technologies de l'information sont dorénavant indispensables à la mise en place de cet écosystème.

Le terme d'écosystème signifiera que l'innovation, idéalement, devrait s'imposer à tous les acteurs de ce système sans qu'ils aient à en faire une démarche particulière. De la même façon, dans la forêt tropicale, les différentes espèces mutent spontanément à un rythme accéléré compte tenu de la richesse et des variations du milieu.

Une présentation exhaustive

Eunika Mercier Laurent, dont cela a toujours été le métier, notamment au sein de l'Association française pour l'intelligence artificielle, donne dans le livre référencé ici, une présentation exhaustive mais parfaitement ordonnée des différents types et modes d'innovation existant. Elle fait précéder cet inventaire de ce que l'on pourrait appeler une géopolitique de l'innovation, montrant comment les différents forces économiques mondiales aujourd'hui en compétition font appel à l'innovation pour se différencier de leurs concurrentes. Elle a enrichi son texte de nombreux exemples et illustrations, rendant la lecture très attrayante.

Nous ne ferons pas ici l'analyse du livre, compte tenu de son caractère professionnel qui n'appelle pas de commentaires particuliers de notre part. Le lecteur de notre article intéressé par le sujet devra impérativement se reporter au livre pour en saisir tout la portée. Bornons-nous seulement à souligner le caractère extrémement approfondi de l'étude, pratiquement toutes les facettes de l'innovation s'y trouvant abordées. Il s'agit d'un travail véritablerment considérable. Les scientifiques mais aussi les artistes et finalement les philosophes pourront également méditer le livre, puisque pour eux aussi innover pour survivre est devenu en général indispensable.

Rappelons cependant pour conclure qu'un tel climat d'innovation systématique multipliant les remises en cause, autocritiques et changements de régime n'est pas favorable aux caractères faibles. Il s'agit d'une lutte pour l'adaptation et l'anticipation nécessitant un tempérament robuste. Lorsque les directions se saisissent du thème pour faire peser sur les personnels, au prétexte de maximiser les bénéfices (des actionnaires) un climat permanent de suspicion, la saturation est vite atteinte, avec les dégâts humains que l'on connait malheureusement de plus en plus.
20 Juillet 2011Par Jean-Paul Baquiast

Eunika Mercier Laurent est chercheur associé à l'IAE Lyon, Ecole Universitaire de Management de l’Université Jean Moulin Lyon 3. Elle dirige une entreprise internationale dédiée au management des connaissances et de l'innovation et préside Innovation3D. Elle est expert sur ces sujets auprès de diverses institutions européennes et internationales.

Adresse web http://emlconseil.fr et http://innovation3D.fr,

http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-paul-baquiast/200711/les-ecosystemes-de-linnovation

 

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