Loi sur l'autonomie des universités, plan licence ou maintenant nouveaux financements dans le cadre du Grand emprunt, l'université française n'est plus le parent pauvre de l'enseignement supérieur. Le président d'une grande université pluridisciplinaire, celle de Nantes avec ses 34000 étudiants, ... dresse le portrait d'un monde en pleine mutation.
Cela doit être formidable de diriger une grande université à un moment où elle est en reconquête de son image et de son public ?
Yves Lecointe : C'est une vraie chance et nous constatons chaque jour des changements, notamment dans nos relations avec les entreprises qui nous comprennent mieux maintenant que nous sommes "autonomes". Et toute l'université est en mouvement. Récemment, nous avons eu un vote quasi unanime pour lancer notre fondation de projets et aller recueillir des fonds. Les entreprises partenaires sont des alliés précieux qui croient en notre excellence et avec lesquels nous co-construisons des projets. Nous venons d'ailleurs de lancer un portail en ligne dédié aux relations université/entreprises : un guichet unique qui leur ouvre toutes les portes de l'université.
Peut-on dire qu'on réussit aujourd'hui mieux qu'hier à l'université, notamment en première année ?
Les taux de réussite des bacheliers généraux (ES, L, S) sont aujourd'hui tout à fait comparables à ceux qu'on constate en classes prépas et en grandes écoles. Il ne faut pas avoir peur de venir à l'université. Ceux qui échouent sont d'abord les bacheliers professionnels pour lesquels l'université est un vrai parcours du combattant. Leur place est plutôt dans les STS (section de technicien supérieur). Même chose pour les IUT (institut universitaire de technologie) et les bacheliers technologiques : c'est leur destination logique. Pour autant, nous devons nous adapter pour les aider à réussir s'ils viennent sur les bancs de nos facultés avec un vrai projet.
A cet effet vous menez des actions de tutorat en première année de licence...
Déceler les étudiants en difficulté est un objectif majeur pour nous. Cela se traduit dans les différentes formations sous de nombreuses formes : tests et contrôles continus, partiels… Ensuite, nous inculquons à ces élèves en difficulté les connaissances et les compétences méthodologiques qui peuvent leur manquer.
Vous avez également mis en place un système d'enseignant référent pour faciliter la transition entre le lycée et l'université...
Répondre aux questions des nouveaux étudiants, les écouter, les conseiller, les orienter vers des ressources ou des services, détecter des difficultés ou encore les motiver font partie du rôle de ce référent. Nous avons aussi créé un véritable monitorat en première année de médecine afin d'éviter aux élèves de payer des cours privés. Nous pouvons ainsi réduire les inégalités entre ceux qui en ont les moyens et les autres. Le suivi des étudiants et la réflexion sur leur insertion sont au cœur de nos préoccupations.
Quand on parle d'échecs à la fac, on oublie aussi que certains y viennent sans trop de motivation...
Oui, parfois juste de passage, parce qu'ils ont été refusés en BTS ou en DUT ou qu'ils veulent tenter un concours l'année suivante, kiné par exemple. Ce sont quasiment des auditeurs libres mais ils pèsent dans nos statistiques. Grâce à un Service d'information et d'orientation (SUIO) très actif, nous aidons toutefois ces étudiants à construire leur parcours. Des ateliers de réorientation sont ainsi proposés chaque année à des étudiants en difficulté afin de les aider à déceler leurs potentialités et à utiliser les passerelles entre les différentes filières. Se réorienter ou réussir un concours fait partie d'un processus d'insertion et non d'échec, comme cela est trop souvent présenté.
Mais comment savoir si on est fait pour telle ou telle filière lorsqu'on est encore au lycée ?
Pour améliorer la réussite de nos étudiants dès leurs premières années d'études, nous avons mis en place une mission université-lycées chargée de coordonner et de valoriser l'ensemble des actions favorisant une orientation active. Un site est entièrement dédié aux lycéens et un DVD présentant toutes les facettes de l'université est diffusé dans les lycées. ...
L'université s'applique à mieux faire réussir les plus faibles mais aussi à donner des voies dédiées aux meilleurs. Par exemple avec les bi-diplômes. C'est votre cas ?
... L'Université de Nantes est une université pluridisciplinaire qui, de ce fait, permet aux étudiants d'accéder à des bi-diplômes tels que la licence juriste trilingue (droit–langues), la double compétence management ... Nous avons aussi la chance d'avoir une école d'ingénieurs au sein de l'université : Polytech Nantes. Nos étudiants en sciences peuvent pendant deux ans suivre des cours supplémentaires en sciences de l'ingénieur et avoir ensuite accès aux douze écoles du réseau Polytech.
Qu'apporte l'université que ne donnent pas forcément les prépas ?
D'abord le sens de l'autonomie que nos étudiants apprennent à développer très tôt. Ensuite une pédagogie différente pas fondée sur le bachotage, à l'exception évidemment de la première année de médecine. Mais vous savez, il ne faut pas opposer les systèmes. Un étudiant peut réussir en licence et ne pas être heureux en prépa et chaque système développe des capacités différentes. ...
Vous proposez de l'ordre de 130 masters. Que pensez-vous de l'absence de sélection à l'entrée en master 1 (M1) ?
C'est une hérésie, un master devrait être un continuum sur deux ans. Là il y a une barrière entre les deux qui sanctionne des étudiants au milieu du gué. La législation actuelle date d'avant le LMD et n'a pas été modifiée : elle autorisait alors un accès libre en maîtrise, et imposait une sélection à l'entrée des DEA et DESS. La première barrière de sélection ne se fait donc qu'en M2. Il faudrait que la sélection se fasse dès le M1.
N'y a-t-il pas trop d'appellations de masters aux noms parfois incompréhensibles, notamment pour les recruteurs ?
Effectivement, il faudrait simplifier l'offre en donnant plus de noms génériques. Bien sûr, il existe des spécialisations uniques mais les entreprises en cherchent assez peu. Sans compter qu'à être hyper-spécialisé on est peu adaptable.
Pensez-vous qu'on accorde assez de place aux doctorants en France ?
Non en tout cas si on se réfère aux normes européennes. En Allemagne, ceux qui dirigent sont des "Herr Doktors", pas de simples ingénieurs. Il faut favoriser leur embauche par les entreprises en France car ils sont les mieux à même de les dynamiser. Ce ne sont plus ces "doux chercheurs" qu'on a si longtemps caricaturé. La plupart sont des professionnels de la recherche qui ont mis seulement 3 ans pour réaliser leur thèse. Oh bien sûr ils prennent un peu plus de temps en moyenne en lettres ou en sciences humaines mais il faut aussi compter avec le fait que de nombreux doctorants dans ces disciplines exercent en parallèle une activité et que nous devons leur laisser un peu plus de temps.
L'insertion professionnelle fait maintenant partie des missions de l'université. Pouvez-vous dresser un premier bilan de votre action ?
A la rentrée, nous lançons "Têtes de l'Emploi", notre premier forum de l'emploi afin de faire se rencontrer entreprises et futurs jeunes diplômés. Ce forum va venir renforcer les actions que nous menions déjà discipline par discipline. Par exemple en droit ou en lettres où les professions venaient se présenter aux étudiants dans le cadre de forums des métiers. Nous assurons également un vrai suivi de nos diplômés et avons d'excellentes relations avec les secteurs professionnels. Résultat, nos taux d'insertion n'ont rien à envier à ceux de grandes écoles pour nos masters et licences professionnels.
Propos recueillis par Olivier Rollot
pour Le Monde.fr | 08.06.11 | 20h31Lire le texte intégral en cliquant sur le titre.
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