mardi 20 septembre 2011

Pourquoi le printemps arabe ?

Le printemps arabe a surpris tous les économistes qui pensaient que les efforts réalisés en matière d’ouverture aux échanges, d’attractivité des investissements directs étrangers, de coopération internationale avaient définitivement placé les pays méditerranéens sur une trajectoire de convergence avec leurs grands voisins européens. Les taux de croissance des PIB des dernières années devenaient proches du seuil permettant un réel rattrapage (assez largement supérieurs à 4% par an en moyenne sur la période 2000-2009). Avec, ici, des progrès sensibles de productivité (Égypte, Jordanie, Maroc, Tunisie) fondés sur la pénétration de l’économie de la connaissance, et là, des entrées d’investissements directs significatifs qui pouvaient pousser certains à se lancer dans des opérations visant à la convertibilité du compte de capital (ce qui signifie aller vers la libéralisation complète des mouvements de capitaux, ce qui fut le cas en Égypte).

Certes, nous avions souligné le danger d’une équation de transfert déséquilibrée dans le cadre des accords Euromed. Elle se traduit par un important déséquilibre commercial avec l’Europe, lié à l’asymétrie du désarmement tarifaire (qui ne concerne que très peu les produits agricoles et qui s’est accompagné d’une explosion des normes techniques et sanitaires mises en place par l’Europe) et à sa difficile compensation par les transferts des migrants, le tourisme et les capitaux de long terme.

Nous avions également largement expliqué que la réduction de la pauvreté restait insuffisante parce qu’inférieure au taux de croissance. Ce qui signifiait que chaque point de croissance gagné s’accompagnait d’une augmentation d’un demi-point des inégalités, que les petites filles mouraient davantage que les petits garçons dans les campagnes, et que la pauvreté y était plus forte. Enfin, il n’est pas un rapport qui ne soulignait l’important chômage des diplômés et des exclus de toute reconnaissance scolaire.

Dès lors qu’avons-nous oublié ? Comment expliquer en profondeur le printemps arabe ? La première raison réside dans la façon dont ce mouvement général vers l’émergence a été conduit. Il s'agit d'un point central pour la transition qui va poser de considérables difficultés pour l’avenir. Ce mouvement a été conduit par une élite composée de politiques et d’hommes d’affaires, voire d’experts étroitement liés. C’est notamment le cas en Égypte et en Tunisie. Dès lors, les ratings habituels qui mettaient en évidence les insuffisances de la concurrence, du fonctionnement du marché du travail, du rôle des banques, de la corruption ne remettaient pas en cause une connivence profonde entre les opérateurs et le pouvoir.

Au fil des années, cette connivence a touché toutes les sphères de la société. Elle s’est traduite à des niveaux aussi différents que choisir les opérateurs pour un grand projet, obtenir un appel d’offres public, développer prioritairement une région, octroyer un crédit à une PME, trouver un emploi dans l’administration… voire obtenir une autorisation pour devenir marchand ambulant.

La question s'avère délicate pour la transition, car ces opérateurs et ce pouvoir protégés par une presse aux ordres, sont également responsables des progrès économiques évoqués plus haut. Il semble pratiquement impossible de se passer de la plupart d’entre eux sauf à aller vers un système totalement différent et donc éloigné des grandes tendances de l’économie mondiale d'aujourd’hui. Mais ceci doit être fait dans un contexte de transparence absolue, de séparation des opérateurs d’avec le pouvoir politique, de contrôle des décisions lourdes par des agences indépendantes, de liberté de la presse, de participation des populations aux choix, bref de véritable démocratie.

La seconde raison est l’instabilité naturelle que produit une plus grande insertion dans l’économie mondiale. Là encore, il faut poursuivre dans cette direction notamment en développant l’intégration Sud-Sud. Mais en la régulant au mieux. Depuis plus de quarante ans nous savons que toutes les révoltes arabes ont éclaté lorsque que les prix des produits de base du panier de la ménagère augmentaient significativement. Ce fut notamment le cas à la fin des années 70 en Egypte, au Maroc et en Tunisie lorsque les missions du FMI recommandaient de ne plus subventionner les prix des produits essentiels (blé tendre, sucre, huile) de façon à permettre le développement de la production locale. Mais ce qui était justifié sur le plan économique était absurde sur le plan social. Nous avons vu la place Tahrir envahie, les hôtels brûler aux Caire ainsi que toutes les discothèques de la route des Pyramides avant que le Président Sadate ne revienne sur la mesure. De ces manifestations date d’ailleurs la montée des frères musulmans. Les mêmes phénomènes atténués se sont produits à Rabat et à Tunis à trois mois d’intervalle et pour la même raison.

Avant les révolutions du printemps arabe nous avons effectivement assisté à une considérable augmentation de ces produits. Nul doute qu'il s'agit d'une cause importante de l’incendie. Une leçon semble-t-il retenue puisque le G8 vient de décider la création d’un fonds de régulation des prix des produits alimentaires qui n’ont pas a dépendre des anticipations des opérateurs de Chicago.

Comment faire comprendre à la mère d’une famille pauvre (autour de 20% de personnes vivent avec moins de 2,40 $ par jour dans les pays méditerranéens) que le blé tendre qui permet notamment de faire le couscous et qui représente autour de 30% de son panier de consommation augmente en trois mois de 15% parce que les opérateurs de Chicago ont acheté des futurs contrats à la hausse ? Nous pouvons d’ailleurs saluer le fait que le président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick ait déclaré qu’il fallait « considérer l’alimentation comme la priorité numéro un de la région en 2011 ».

Mais tout ceci pouvait paraître au total maîtrisable et finalement assez commun aux pays situés dans la moyenne basse des pays à revenu moyen se dirigeant vers le statut de pays émergents. L’ouverture aux échanges crée naturellement des inégalités tout en engendrant un gain net global, car elle favorise les secteurs à avantages comparatifs au détriment des autres (les secteurs non compétitifs et ceux des biens dits non échangeables) et peut engendrer des problèmes sociaux graves si la compensation des perdants n’est pas bien conduite par l’État. Lorsque l’offre de qualifications s'avère inadaptée, les investissements étrangers produisent peu d’effets d’entraînement et se concentrent dans des îlots fermés, généralement situés sur les régions côtières ou proches des grands centres urbains.

La troisième raison qui tient à la première réside dans l’exclusion de la jeunesse des décisions et de l’emploi. Le pouvoir actuel marocain l’a bien compris. il a inscrit dans la constitution l’obligation d’une représentation de jeunes de moins de 40 ans dans le Parlement.

Cette lutte contre une société de patriarcat touche également les femmes, très actives dans la révolution. Elle sera de long terme et passe par le développement du syndicalisme étudiant, et surtout la formation et l’emploi. Les pays arabes souffrent d'une très forte proportion de jeunes sans aucune qualification non répertoriés chômeurs donc en dehors de toute considération sociale. Ils ont également une proportion considérable de chômeurs diplômés (jusqu’à 40%), ce qui représente à l’évidence une bombe à retardement. Cela explique que les nouveaux pouvoirs aient immédiatement proposé la création d’emplois publics (700.000 en Égypte réservés aux jeunes). Si nous comprenons bien les raisons immédiates de ces décisions, il est clair qu’elles ne résoudront guère le problème. La solution est de plus long terme. Elle concerne, le qualité de l’éducation et de la formation, son adéquation aux besoins de l’économie, la possibilité de créer et développer des petites entreprises, l’entrée dans l’économie de la connaissance, la pénétration d’une culture de la compétence et du risque.

La quatrième raison, l’extraordinaire disparité territoriale qui existe dans tous les pays concernés, explique qu'en Tunisie le mouvement soit venu du centre du pays. Le développement s’effectue dans les grands centres urbains et les régions côtières. Les territoires ruraux du centre et du Sud restent largement démunis. Les emplois y sont les plus rares, les infrastructures essentielles absentes, l'autonomie de décision faible. Cette reconquête du territoire et du monde rural sera décisive pour l’avenir. Elle nécessite là encore des avancées démocratiques par des formes de décentralisation au plus près des concentrations locales.

Tout ceci plaide donc pour une approche plus systémique que celle retenue par le passé. Si les pays du printemps arabe peuvent poursuivre leur marche vers l’ouverture et le progrès en s’appuyant sur les éléments les plus dynamiques de leurs sociétés et parvenir à une meilleure intégration interne, alors nous pouvons penser que la transition augurera d’une nouvelle ère de progrès. Elle implique que les gains économiques ne soient pas les seuls critères de succès.

Cela se fera par la mobilisation de toutes les énergies existantes et par la mobilisation de nouveaux acteurs. À bien des égards, il semble que les pouvoirs en place actuellement aient retenu cette orientation : « aller vers une croissance forte, ne pas revenir en arrière, mais rendre cette croissance plus inclusive et plus participative ». Le moteur est évidemment une véritable démocratie car elle permettra le jaillissement de nouveaux facteurs de dynamisme. Si, au contraire, nous économistes, attendons que les évènements se calment pour revenir «au business as usual », il y a de grandes chances que ce soit l’avancée démocratique elle-même qui soit menacée.

Par Jean-Louis Reiffers, professeur à EuromedManagement, coordonnateur et président du comité scientifique du FEMISE

Vendredi 16 Septembre 2011

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