mercredi 31 août 2011

Baisse probable des financements fédéraux à la R&D : quelles répercussions sur l'innovation américaine ?

Les scientifiques n'ignorent pas les confirmations de la très mauvaise conjoncture économique appelée à se poursuivre en 2011 et 2012, ce qui fera de cette période de l'histoire américaine la plus longue crise économique et financière du pays. Alors qu'un comité "bi-partisan" est à la recherche de quelque 4.000 milliards d'économie (sur 10 ans) dans le budget fédéral, la communauté scientifique a bien compris qu'elle n'allait cette fois pas échapper à un rabotage des financements disponibles via les grandes agences de recherche (NSF, NIH, etc.) et les départements ministériels (NoE, NoD, NoA, etc.). Les plus inquiets sont précisément ceux qui sont aussi les mieux dotés, à savoir les chercheurs installés dans des zones d'excellence vers lesquelles converge un volume considérable de fonds fédéraux, à l'instar de Boston, Los Angeles ou San Francisco.

Une étape en chasse-t-elle une autre ? La réponse est assurément oui.

Les choses avaient pourtant très bien commencé avec la nouvelle Administration. Avec l'arrivée d'Obama en 2008, les chercheurs avaient même développé un léger état de griserie à l'écoute des messages présidentiels sur la recherche qui faisaient suite à ceux du candidat. Dès son investiture, le Président avait placé la barre très haut puisqu'il prônait un objectif de 3% du PIB américain consacré à la recherche ainsi qu'un doublement sur 10 ans de la dotation de quatre agences fédérales (ACI, NSF, DoE/OoS et le NIST), ce qui aurait eu un impact de 12,9 milliards de dollars supplémentaires. Ce discours, diffusé avec intempérance et parallèlement à d'autres annonces de chantiers (réforme des agences réglementaires), a eu pour effet de faire progresser la cote de popularité du Président auprès des scientifiques. Elle s'est même transformée en lune de miel à la faveur du plan de relance de février 2009 qui a eu un impact jusqu'à la fin de l'année 2010, puisque 21,5 milliards de dollars additionnels sont alors allés à la recherche (principalement civile). Quand on sait que le budget fédéral de la recherche civile atteint 76,8 milliards, on peut imaginer les effets bénéfiques de cette manne providentielle. Pendant cette période, les laboratoires américains n'ont jamais autant recruté ni produit de connaissances avec un tel volume de ressources disponibles. Les indicateurs scientométriques s'en souviendront !

Las ! La fête est finie. Désormais l'interrogation de la communauté de recherche porte sur la méthode envisagée par le Fédéral. Sachant qu'aucune réforme du système de recherche n'est envisagée, le scénario le plus probable est que le budget actuel de 147, 8 milliards s'inscrive en plus ou moins forte baisse, tout dépendant de la force de conviction de l'Administration face aux parlementaires, majoritairement républicains, tout puissants dans une affaire qu'il considèrent comme ni prioritaire, ni importante. Cette baisse est susceptible d'autant toucher la recherche militaire (70,97 milliards) que la recherche civile (76,8 milliards). Dans cette dernière, il faut distinguer la dotation aux agences et les budgets de recherche des départements ministériels. L'expérience prouve que ce sont ces derniers qui seront les plus touchés car ayant le moins d'impact sur l'emploi scientifique et le moins sensible politiquement. L'ennui, c'est que ce sont dans les départements ministériels que sont développés les programmes les plus en pointe et les plus tournés vers l'innovation (le programme des nanotechnologies, génération d'énergie, réseau de transport énergétique, espace, etc.). Certains de ces programmes sont d'ailleurs des "initiatives", c'est-à-dire des programmes à mi-chemin entre un projet expérimental et un plan destiné à amorcer le développement d'une filière technologique.

Les industriels sont très concernés par ce type de programmes. Les entrepreneurs également, notamment ceux qui s'appuient sur des licences cédées par des laboratoires fédéraux. Avec la réduction des fonds fédéraux les quelque 500 entreprises technologiques qui sortent annuellement du système de recherche américain seront sans aucun doute à la peine pour faire grandir leur projet. Il en est de même pour les 5.000 entreprises "biotech" américaines, actuellement en attente de financement. Ces entreprises sont très dépendantes de l'unique grand programme fédéral de soutien aux PMI-PME technologiques, le SBIR/STTR. Doté actuellement d'environ 2,3 milliards, l'assiette de financement du programme est établie sur 2,5% des budgets de recherche des 1O plus grandes agences de recherche américaines. Résultat : si le budget des agences baisse, les sommes allant à l'innovation des PMI-PME technologiques baisseront mécaniquement.

A la mauvaise conjoncture et à la probable baisse des crédits fédéraux viennent s'ajouter de très fortes tensions sur l'accès aux financements privés liés à l'innovation, un domaine où les Etats-Unis se targuaient d'être la référence mondiale en plus d'attirer les entrepreneurs du monde entier.

Une autre conséquence dramatique sur la recherche et l'innovation de la très probable diminution des budgets fédéraux a trait à la baisse de moyens des agences réglementaires. Véritables goulets d'étranglement de l'innovation américaine, l'USPTO et la FDA sont susceptibles de souffrir encore davantage en termes de moyens et de ressources humaines. La situation est susceptible de carrément bloquer la délivrance des brevets (près de 4 ans d'attente et 1,2 million de dossiers en souffrance) et l'innovation dans le domaine biomédical (dispositifs médicaux, médicaments, traitements, etc.). De l'aveu même de Mr Gary Locke, secrétaire au commerce qui la tutelle de l'USPTO, la situation actuelle est jugée intenable car "les délais d'attente (pour l'obtention d'un brevet, ndlr) génèrent de l'incertitude pour les inventeurs et entrepreneurs tout en entravant notre reprise économique". Qu'en serait-il si les moyens de ces deux agences venaient encore à diminuer ?!

Certes les dès ne sont pas jetés. Et on ne peut aucunement présager ce qu'il ressortira des discussions dans la capitale fédérale pour trouver 4.000 milliards. Mais il est clair que le climat de l'activité scientifique et technologique a radicalement changé au cours des dernières semaines aux Etats-Unis. De son côté, le gouvernement fédéral semble adopter un profil bas, mettant de côté certains chantiers comme celui, régulièrement relancé par chacune des administrations qui arrive aux manettes, de coordonner l'action en matière de R&D des différents départements ministériels. Pour créer une sorte de ministère de la recherche. Silence également sur le projet de faire émerger ou de conforter des pôles de compétitivité. Pour les observateurs que nous sommes, le gouvernement fédéral donne l'impression de s'autocensurer sur les grands projets en matière de R&D (ex. le spatial, l'environnement, etc.) de crainte d'affronter un parlement, désormais rétif à toute dépense pour tout programme.

Un seul levier reste entre les mains de l'exécutif américain, via les agences de moyens : l'expérimentation. C'est le sens de l'initiative récemment prise par la NSF qui a de toute évidence lancé les "innovation corps" sur des fonds de tiroirs budgétaires (5 millions en année pleine). C'est aussi le sens du programme "Startup America", certes plus ambitieux budgétairement mais avec le concours d'industriels qui ont mis sur la table 300 millions. Chaque année on compte une demi-douzaine d'initiatives de ce type, nous nous en faisons l'écho dans le BE. Mais comme le conclut David Boucard-Planel dans son article sur les "innovation corps", elles ressemblent davantage à des ballons sondes destinés à tester de nouveaux concepts au moindre coût plutôt qu'à une nouvelle stratégie en matière de recherche et d'innovation...

BE Etats-Unis 256 >> 26/08/2011

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/67515.htm

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