mercredi 31 août 2011

La généralisation du véhicule électrique est-elle pour demain ?

En ce début de 21ème siècle, la mobilité des personnes est en pleine évolution. Pour preuve, dans les centres urbains la propriété individuelle des véhicules laisse déjà une place prépondérante aux solutions alternatives: transports en commun, auto-partage, co-voiturage, etc [1]. A Paris par exemple, seulement 15% des déplacements s'effectuent en voiture d'après un rapport du Centre d'Analyse Stratégique. De plus, posséder une voiture a perdu de l'attrait et symbolise moins la "réussite sociale" qu'auparavant. Ainsi 79% des Européens et 62% des Français considéraient en 2009 que la possession d'une voiture était devenue une contrainte [2]. Cette modification sociologique pourrait s'inscrire dans la durée, surtout aux Etats-Unis où le transport individuel est toujours roi et où utiliser les transports publics est bien souvent synonyme de pauvreté [3].

En parallèle, la volonté de réduire la consommation d'essence provoque actuellement une transformation technologique des véhicules. L'enjeu est de taille et conduit aux Etats-Unis a une vraie course à l'innovation, en compétition avec d'autres puissances mondiales comme la Chine [4] [5].

L'intérêt de la voiture électrique

Outre les agro-carburants ou l'utilisation de l'hydrogène comme vecteur énergétique, les véhicules à batteries électriques semblent promis à un bel avenir. La mobilité électrique offre en effet plusieurs avantages. Elle est une solution de long-terme à la raréfaction des ressources pétrolières [6], qui permet d'atténuer les problèmes géopolitiques de l'approvisionnement en pétrole, dont la dépendance aux pays producteurs.

Par ailleurs, ce moyen de locomotion ne produit aucune émission locale et permet de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre lorsque l'électricité utilisée est "faiblement carbonée". Ainsi, avec le mix électrique moyen californien projeté pour 2020 - soit 33% de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables - l'International Council on Clean Transportation prévoit qu'un véhicule électrique capable de parcourir 5,7 km avec 1 kWh émettra environ 77 gCO2/miles (48 gCO2/km) [7]. A titre de comparaison, le dispositif de bonus-malus mis en place en France en 2008 avait pour objectif de réduire les émissions moyennes du parc automobile français à 130gCO2/km [8].

A plus long terme, certain imaginent que les voitures seront rechargées uniquement par des énergies renouvelables. En ce sens, des systèmes couplant infrastructures de recharge et production d'énergie solaire émergent, comme par exemple un démonstrateur au siège de Nissan (Japon) [9], de récents produits commerciaux aux Etats-Unis (GM Motors [10], SolarCity [11]) ou encore les harmonieux SunTree de l'hôtel de Police d'Avignon [12]. Au Danemark, où 30% de l'électricité est produite par l'énergie éolienne, le véhicule électrique est même envisagé comme une solution à l'intermittence des énergies renouvelables : "si nous stockons l'énergie instable du vent dans des batteries, pourquoi ne pas mettre des roues sous la batterie?" demande ainsi Anders Elrup, directeur de Dong Energy, la principale compagnie d'électricité du pays [13].

Enfin, les gouvernements y voient un moteur de croissance. Des équipes de recherches du monde entier sont d'ailleurs en lice pour mettre au point des véhicules électriques performants et prendre les premières parts de marché. Aux Etats-Unis, par le biais du plan de relance de l'économie, le gouvernement a dédié plus de 5 milliards à l'évolution électrique des transports et mis en place un programme de prêt du Department of Energy (DoE) intitulé Advanced Technology Vehicle Manufacturing (ATVM) [14]. Cependant, le financement promis se fait parfois attendre, d'après des informations du début de l'année [15] [16].

La carte ci-dessous recense les projets de démonstration subventionnés à hauteur de presque $400 millions par les bourses du programme "Transportation Electrification" [17].

L'objectif initial du gouvernement était de créer des dizaines de milliers d'emplois et de mettre en place une industrie capable de produire 500.000 véhicules par an d'ici à 2015. Ce dernier chiffre a été par la suite relevé à 1.000.000 [18]. Toutefois, comme le reflète une étude bibliographique menée par l'Institute of Transportation Studies de l'université de Californie à Davis, les bénéfices des investissements dans les transports sont le plus souvent surestimés [19].

Les avis contrastés sur le développement du marché

Comme nous l'avions souligné dans un article de mars dernier [20], les estimations sur la rapidité et l'ampleur du développement du marché des véhicules électriques varient beaucoup. La répartition exacte des parts entre les différentes technologies ne fait pas l'objet de plus de consensus, cependant il est probable que les véhicules hybrides (non-rechargeables) se développeront plus rapidement que les véhicules rechargeables (qui comprennent hybride-rechargeables et tout-électriques).

=> L'offre aux Etats-Unis

L'offre actuelle en voiture électrique rechargeable et celle attendue d'ici fin 2012 sont résumées dans le tableau ci-dessous, à partir de rapports de l'Electric Power Research Institute [21] et de l'université d'Indiana [22]. Ces données montrent qu'il y a aujourd'hui moins de 10.000 véhicules sur les routes, mais que le nombre de modèles disponibles devrait être multiplié par trois ou quatre avant 2013. Il est intéressant de remarquer du côté des constructeurs, les poids lourds de l'industrie automobile sont côtoyés par des nouveaux entrants. Ceux-ci se positionnent pour le moment plutôt dans la niche que représente le marché du luxe mais prévoient à court-terme des modèles plus abordables (le model S de Tesla par exemple).


Un tableau plus exhaustif, jusqu'à 2015, se trouve dans le rapport 2010 du DoE [23]. Pour le marché européen, Frost&Sullivan a proposé une étude assez poussée au début de l'année [24]. Quant à la demande, elle est difficile à évaluer et dépend de paramètres locaux.

=> Les facteurs influant la demande

A la pointe de la technologie, la Californie possède des entreprises aussi séduisantes que Tesla [25] ou Fisker [26] et tient à figurer parmi les leaders dans le développement du transport électrique. D'après des chercheurs de l'université de Californie, le marché de Los Angeles par exemple présente des caractéristiques favorisant l'utilisation du véhicule électrique [27]. Le taux de voitures neuves et le taux de voitures hybrides dans le parc automobile y sont élevés. Ou encore, Los Angeles est soumise à de fortes migrations pendulaires qui ne sont pas assurées par un réseau de transport public développé. Nombre de familles possèdent donc une ou plusieurs voitures qui ne sont pas le véhicule principal et qui servent pour des trajets relativement courts. Néanmoins, la même étude souligne plusieurs barrières au développement du marché, dont :
- la mise en place d'infrastructures de recharge ;
- le prix et la performance des batteries électriques;
- la peur de tomber en panne (préoccupation d'autonomie dite "range anxiety") ;
- la compréhension de cette nouvelle technologie ;
- l'offre en véhicules électriques.

Même si les problèmes d'infrastructures et de mise en place de tout un éco-système sont complexes, certaines des craintes exprimées par les futurs utilisateurs ne sont pas toujours fondées. Par exemple, un américain passe en moyenne 72 minutes par jour dans les transports [28]. En considérant que tous ces déplacements sont effectuées en voiture, cela signifie que cet objet ne sert que 5% du temps et que le temps de recharge des batteries ne devrait, en moyenne, pas poser problème.

=> L'influence des mesures réglementaires

En mai 2009, le président Obama a annoncé un nouveau programme d'économie de carburant et l'introduction du nouveau standard CAFE (Corporate Average Fuel Economy) pour les ventes de nouveaux véhicules légers en 2016. Ceux-ci devront parcourir 35,5 miles/gallon soit 6,6 litres au 100 km. S'appuyant sur les travaux d'agences nationales [29] [30], le Center for Automotive Research a tenté d'estimer la répartition des technologies de véhicules qui pourraient découler de l'évolution du standard CAFE. Quatre scénarios sont envisagés pour l'horizon 2025 [31].


Les résultats, illustrés ci-dessous, montrent une grande variation du taux de pénétration des véhicules électriques rechargeables selon la politique retenue : de 2% dans le cas où les objectifs de réduction de gaz à effet de serre sont les moins contraignants, elle passe à 65% avec les objectifs les plus ambitieux. Le président Obama a finalement annoncé fin juillet que la cible retenue pour l'objectif 2025 du standard CAFE était 54,5 miles/gallon, soit l'hypothèse médiane de l'étude [32].


Notons que les conclusions de cette étude font l'objet de dissensions parmi les experts. En effet, l'International Council on Clean Transportation (ICCT) dénonce "une analyse qui surestime énormément le prix du véhicule et sous-estime de façon significative la technologie disponible associée au standard CAFE envisagé", ceci étant dû au cumul "d'erreurs et d'hypothèses discutables". Le Center for Automotive Research a pris soin de répondre point par point aux objections de l'ICCT [33].

Conclusion

Finalement, comme le résume le Centre d'Analyse Stratégique français à la fin d'un rapport sur la voiture de demain, "l'incertitude règne sur le développement des véhicules électriques. Pour évaluer l'avenir des VE, de nombreuses inconnues subsistent sur leur écosystème (prix du pétrole, volonté des consommateurs, incitations étatiques, etc.) mais aussi sur l'évolution technologique et l'essaimage possible" [34].

D'un côté, certains constructeurs - tel le français Renault - misent beaucoup sur cette filière et des gouvernements - comme celui des Etats-Unis - la subventionnent massivement dans l'espoir de retombées économiques positives. De l'autre, malgré les résultats encourageants d'un sondage d'Accenture dans 13 pays [35], l'acceptation du consommateur ne semble pas acquise. En France, les récentes polémiques sur la sécurité [36] pourraient amoindrir l'enthousiasme de la population.

Enfin et surtout, d'après Lux Research, malgré tout l'argent investi aux Etats-Unis, le fort soutien du gouvernement et le battage médiatique, l'adoption généralisée des véhicules électriques rechargeables reste une question ouverte à cause de leur prix trop élevé. Or, les batteries comptent pour une part importante de celui-ci puisqu'elles représentent 50% à 80% des coûts de la transmission, qui représente elle-même 65% à 75% du coût total du véhicule [37].

Un rapport de la Deutsche Bank [38] évalue le surcoût lié à la batterie dans un véhicule électrique par rapport à un véhicule thermique à l'horizon 2015 : de $1350 pour une voiture hybride, celui-ci passe à plus de $12.000 pour un véhicule tout-électrique. Notons que cette estimation repose sur l'hypothèse d'un prix de l'essence à $4/gallon (soit environ 75c euros/L), ce qui est plus élevé que le prix actuel aux Etats-Unis mais paraît raisonnable au vu de l'évolution tendancielle [39] et qu'une étude bibliographique du Massachusetts Institute of Technology recense des estimations du même ordre [40].

Dès lors, parvenir à réduire le coût des batteries apparaît comme un formidable levier pour stimuler le marché des véhicules électriques. Mais cela est-il possible? Nous aborderons le sujet dans de nos articles à venir. "Stay tuned"...

BE Etats-Unis 256 >> 26/08/2011

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/67512.htm

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