Le 28 juillet dernier, la Fondation Nationale pour la Science [1](NSF) a annoncé la création d'une nouvelle initiative public-privé, dénommée "Innovation Corps". L'objectif affiché est de faciliter l'éclosion de nouveaux produits ou services basés sur des technologies issues de la recherche publique (donc des laboratoires universitaires et fédéraux), ceci afin de "redynamiser l'écosystème d'innovation, en construisant des liens générateurs d'opportunités pour les chercheurs et les ingénieurs", précise Subra Suresh, directeur de la NSF. L'objectif est ambitieux et les moyens modestes. En année pleine, la NSF compte en effet consacrer 5 millions de dollars à ce nouveau programme.
Cette initiative présente un caractère singulier car elle s'adresse principalement aux chercheurs et ingénieurs des laboratoires publics. Ces derniers, s'ils sont des experts dans leur domaine, ne possèdent ni les compétences ni parfois la motivation de transformer leurs découvertes (aussi exceptionnelles soient-elles) en produits ou services destinés aux marchés. Selon les concepteurs du programme, le fossé qui sépare ces chercheurs du monde des investisseurs, des marchés et de l'entrepreneuriat en général constitue un obstacle au développement de technologies innovantes.
L'initiative "Innovation Corps" n'a en fait pas pour objectif de transformer les chercheurs en "serial entrepreneurs" mais à leur transmettre de la connaissance et du savoir-faire quant aux premières étapes de transformation d'une technologie en un produit destiné à un marché. Il s'agit donc de les guider dans le processus dit "de recherche translationnelle". Jusqu'à maintenant, très peu d'initiatives visant à favoriser le développement de produits issus de la recherche publique associaient réellement les chercheurs à ce processus, mis à part une initiative en Californie dont nous nous faisions l'écho il y a quelques semaines [2].
Les projets sélectionnés, qui devront tous être issus d'universités ou d'agences fédérales de recherche se verront ainsi proposer une offre complète de formation à l'entrepreneuriat, comprenant notamment :
- Une bourse d'un montant maximum de 50.000 dollars, dédiée exclusivement à l'étude du potentiel commercial d'une technologie
- L'association d'un "mentor", appartenant à un réseau actuellement en cours de formation et dénommé "I-Corps Mentors Network", constitué essentiellement d'entrepreneurs en série à succès ayant adhéré au programme
- Fait complètement nouveau, une formation à l'entrepreneuriat dispensée à l'école de commerce de Stanford (Stanford Business School), en Californie, et fondée sur les travaux du professeur Steve Blank, entrepreneur en série et co-inventeur d'une nouvelle "méthode" de développement de startup.
Une fois sélectionnées, les équipes de projet seront accompagnées pendant 6 mois par leurs mentors et leurs professeurs. Durant cette période, ils auront des objectifs précis à atteindre. Parmi ces derniers, il leur faudra être capable de déterminer une proposition de valeur liée à leur technologie, évaluer un profil de client et de marché, chercher des partenaires ou encore imaginer et tester un modèle d'affaire viable.
Pour faciliter ce processus, la méthode d'enseignement sera elle aussi adaptée au profil "scientifique" des "élèves". Elle repose sur un processus itératif de proposition d'hypothèses, de tests et expérimentations très concrètes qui doit beaucoup aux méthodes de recherche scientifique. Les responsables du programme comptent sur cette nouveauté pour faire en sorte que les chercheurs la mettent en oeuvre et se l'approprient plus aisément. Au final, l'objectif est bien démontrer aux chercheurs qu'ils sont parfaitement capables de déterminer eux-mêmes le potentiel commercial de leur technologie, de la même manière qu'ils testent habituellement une hypothèse scientifique.
Pour participer au programme "Innovation-Corps", chaque équipe sera constituée :
1. D'un "leader entrepreneurial", chargé d'étudier l'environnement concurrentiel, les marchés, et, le cas échéant, de gérer la transition de la technologie vers un produit.
2. Un mentor, appartenant si possible au réseau des "I-Corps-mentor"
3. Un chef de projet, qui sera responsable de la gestion des fonds attribués par la NSF.
La NSF prévoit de distribuer 25 bourses accompagnées de la formation en 2011 - la première "promotion" débutant en octobre - et 100 en 2012, pour un budget total annuel de 5 millions. Seule inconnue, et de taille : la validation du budget de l'année 2012 de la NSF, à ce jour incertain.
Dans nos précédentes publications, nous pointions le manque de planification à moyen ou long terme des initiatives fédérales en faveur de l'innovation [3]. . Le programme "Innovation-Corps" a pour objectif à long terme de changer la manière dont une technologie "passe" du laboratoire aux marchés. Mais le programme est aussi centré autour d'objectifs à plus court-terme, qui permettront de mesurer le succès de chaque projet soutenu. Ainsi, à la fin de la période de formation de 6 mois, chaque équipe "Innovation-Corps" devra être capable de présenter un prototype technique lors d'un évènement spécifique et présenter un plan de développement en adoptant une des voies suivantes :
- Créer une startup autour de la technologie ou présenter un plan d'affaires à des investisseurs
- Licencier la technologie à d'autres entreprises
- Participer au programme SBIR [4]
- Autre option
Ce double suivi sera un indicateur de succès du programme, malgré l'incertitude qui entoure son maintien sur plusieurs années.
Nous disions d'entrée, les moyens mis par la NSF sont faibles au regard des enjeux liés à l'innovation aux Etats-Unis. Selon nous, l'intérêt de l'initiative "Innovation Corps" réside dans le changement qui est en train de s'opérer dans les agences fédérales, sans doute pressées par l'exécutif d'en faire davantage pour valoriser la recherche et conjurer la mauvaise conjoncture du pays : mettre davantage l'accent sur l'innovation [5], et plus particulièrement sur les écosystèmes innovants, alors qu'elles sont censées financer la recherche fondamentale. En prenant en charge l'accompagnement et la formation de chercheurs, la NSF se positionne sur le même plan que certains concours d'entrepreneurs, avec une offre centrée sur des étapes amont du développement de startups technologiques. Désormais, la NSF semble donc vouloir devenir un acteur de cet écosystème d'innovation.
Autre intérêt de l'initiative : elle vient compléter le rôle de certains bureaux de transfert de technologie, dont le coût des activités liés à l'entrepreneuriat rapporté aux profits générés ne peuvent pas être assumés par tous les établissements universitaires, notamment ceux de taille moyenne. [6]. L' "Initiative Innovation Corps" présente donc beaucoup d'atouts en théorie. L'incertitude porte d'une part sur la réaction des chercheurs à ce nouveau programme et d'autre part sur son bon déroulement en 2011.
D'une manière générale, l'"Initiative Innovation Corps", malgré ses atouts théoriques, est symptomatique des limites de l'action fédérale en matière de financement de la R&D. On connaît tous l'état et les modalités des finances fédérales américaines liés aux dépenses de R&D dont le passage obligé est le parlement. Alors que l'Administration doit trouver 4.000 milliards de dollars pour réduire ses déficits et endettement, les agences de financement de la recherche font toutes profil bas. Elles ont tendance à faire usage des reliquats de leur dotation pour explorer de nouvelles idées plutôt que de solliciter une augmentation auprès de leur tutelle. C'est d'ailleurs le sens de la plupart des autres initiatives que l'on a vu récemment apparaître ("startup America", "science envoys", etc.), que l'on peut considérer comme des ballons sondes destinés à tester de nouveaux concepts au moindre coût. Il manque cependant une cohérence et une engagement fédéral forts derrière ces initiatives, que seule une nouvelle politique claire de recherche et d'innovation, suivie d'engagements financiers à sa hauteur, pourrait fournir.
Cette initiative présente un caractère singulier car elle s'adresse principalement aux chercheurs et ingénieurs des laboratoires publics. Ces derniers, s'ils sont des experts dans leur domaine, ne possèdent ni les compétences ni parfois la motivation de transformer leurs découvertes (aussi exceptionnelles soient-elles) en produits ou services destinés aux marchés. Selon les concepteurs du programme, le fossé qui sépare ces chercheurs du monde des investisseurs, des marchés et de l'entrepreneuriat en général constitue un obstacle au développement de technologies innovantes.
L'initiative "Innovation Corps" n'a en fait pas pour objectif de transformer les chercheurs en "serial entrepreneurs" mais à leur transmettre de la connaissance et du savoir-faire quant aux premières étapes de transformation d'une technologie en un produit destiné à un marché. Il s'agit donc de les guider dans le processus dit "de recherche translationnelle". Jusqu'à maintenant, très peu d'initiatives visant à favoriser le développement de produits issus de la recherche publique associaient réellement les chercheurs à ce processus, mis à part une initiative en Californie dont nous nous faisions l'écho il y a quelques semaines [2].
Les projets sélectionnés, qui devront tous être issus d'universités ou d'agences fédérales de recherche se verront ainsi proposer une offre complète de formation à l'entrepreneuriat, comprenant notamment :
- Une bourse d'un montant maximum de 50.000 dollars, dédiée exclusivement à l'étude du potentiel commercial d'une technologie
- L'association d'un "mentor", appartenant à un réseau actuellement en cours de formation et dénommé "I-Corps Mentors Network", constitué essentiellement d'entrepreneurs en série à succès ayant adhéré au programme
- Fait complètement nouveau, une formation à l'entrepreneuriat dispensée à l'école de commerce de Stanford (Stanford Business School), en Californie, et fondée sur les travaux du professeur Steve Blank, entrepreneur en série et co-inventeur d'une nouvelle "méthode" de développement de startup.
Une fois sélectionnées, les équipes de projet seront accompagnées pendant 6 mois par leurs mentors et leurs professeurs. Durant cette période, ils auront des objectifs précis à atteindre. Parmi ces derniers, il leur faudra être capable de déterminer une proposition de valeur liée à leur technologie, évaluer un profil de client et de marché, chercher des partenaires ou encore imaginer et tester un modèle d'affaire viable.
Pour faciliter ce processus, la méthode d'enseignement sera elle aussi adaptée au profil "scientifique" des "élèves". Elle repose sur un processus itératif de proposition d'hypothèses, de tests et expérimentations très concrètes qui doit beaucoup aux méthodes de recherche scientifique. Les responsables du programme comptent sur cette nouveauté pour faire en sorte que les chercheurs la mettent en oeuvre et se l'approprient plus aisément. Au final, l'objectif est bien démontrer aux chercheurs qu'ils sont parfaitement capables de déterminer eux-mêmes le potentiel commercial de leur technologie, de la même manière qu'ils testent habituellement une hypothèse scientifique.
Pour participer au programme "Innovation-Corps", chaque équipe sera constituée :
1. D'un "leader entrepreneurial", chargé d'étudier l'environnement concurrentiel, les marchés, et, le cas échéant, de gérer la transition de la technologie vers un produit.
2. Un mentor, appartenant si possible au réseau des "I-Corps-mentor"
3. Un chef de projet, qui sera responsable de la gestion des fonds attribués par la NSF.
La NSF prévoit de distribuer 25 bourses accompagnées de la formation en 2011 - la première "promotion" débutant en octobre - et 100 en 2012, pour un budget total annuel de 5 millions. Seule inconnue, et de taille : la validation du budget de l'année 2012 de la NSF, à ce jour incertain.
Dans nos précédentes publications, nous pointions le manque de planification à moyen ou long terme des initiatives fédérales en faveur de l'innovation [3]. . Le programme "Innovation-Corps" a pour objectif à long terme de changer la manière dont une technologie "passe" du laboratoire aux marchés. Mais le programme est aussi centré autour d'objectifs à plus court-terme, qui permettront de mesurer le succès de chaque projet soutenu. Ainsi, à la fin de la période de formation de 6 mois, chaque équipe "Innovation-Corps" devra être capable de présenter un prototype technique lors d'un évènement spécifique et présenter un plan de développement en adoptant une des voies suivantes :
- Créer une startup autour de la technologie ou présenter un plan d'affaires à des investisseurs
- Licencier la technologie à d'autres entreprises
- Participer au programme SBIR [4]
- Autre option
Ce double suivi sera un indicateur de succès du programme, malgré l'incertitude qui entoure son maintien sur plusieurs années.
Nous disions d'entrée, les moyens mis par la NSF sont faibles au regard des enjeux liés à l'innovation aux Etats-Unis. Selon nous, l'intérêt de l'initiative "Innovation Corps" réside dans le changement qui est en train de s'opérer dans les agences fédérales, sans doute pressées par l'exécutif d'en faire davantage pour valoriser la recherche et conjurer la mauvaise conjoncture du pays : mettre davantage l'accent sur l'innovation [5], et plus particulièrement sur les écosystèmes innovants, alors qu'elles sont censées financer la recherche fondamentale. En prenant en charge l'accompagnement et la formation de chercheurs, la NSF se positionne sur le même plan que certains concours d'entrepreneurs, avec une offre centrée sur des étapes amont du développement de startups technologiques. Désormais, la NSF semble donc vouloir devenir un acteur de cet écosystème d'innovation.
Autre intérêt de l'initiative : elle vient compléter le rôle de certains bureaux de transfert de technologie, dont le coût des activités liés à l'entrepreneuriat rapporté aux profits générés ne peuvent pas être assumés par tous les établissements universitaires, notamment ceux de taille moyenne. [6]. L' "Initiative Innovation Corps" présente donc beaucoup d'atouts en théorie. L'incertitude porte d'une part sur la réaction des chercheurs à ce nouveau programme et d'autre part sur son bon déroulement en 2011.
D'une manière générale, l'"Initiative Innovation Corps", malgré ses atouts théoriques, est symptomatique des limites de l'action fédérale en matière de financement de la R&D. On connaît tous l'état et les modalités des finances fédérales américaines liés aux dépenses de R&D dont le passage obligé est le parlement. Alors que l'Administration doit trouver 4.000 milliards de dollars pour réduire ses déficits et endettement, les agences de financement de la recherche font toutes profil bas. Elles ont tendance à faire usage des reliquats de leur dotation pour explorer de nouvelles idées plutôt que de solliciter une augmentation auprès de leur tutelle. C'est d'ailleurs le sens de la plupart des autres initiatives que l'on a vu récemment apparaître ("startup America", "science envoys", etc.), que l'on peut considérer comme des ballons sondes destinés à tester de nouveaux concepts au moindre coût. Il manque cependant une cohérence et une engagement fédéral forts derrière ces initiatives, que seule une nouvelle politique claire de recherche et d'innovation, suivie d'engagements financiers à sa hauteur, pourrait fournir.
BE Etats-Unis 256 >> 26/08/2011
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