L’enquête Formation Professionnelle de Cegos pour 2011 a fait ressortir le fort besoin d’accompagnement au travail des salariés des 5 pays concernés.
Nombre d’entreprises tentent aujourd’hui de mieux répondre à ce besoin: certaines organisent et outillent leur fonction tutorale, d’autres (ou les mêmes) mettent en place des « mentors » pour des catégories spécifiques de personnel, d’autres enfin recourent à des coachs, internes externes.
Un certain flou sémantique apparaît quelque fois, qui peut nuire à la compréhension qu’ont les acteurs de ce que l’on attend d’eux, et au final à la qualité de l’accompagnement.
Dans ce billet, je propose de caractériser chacun de ces termes en fonction des critères suivants: l’objet de la relation, sa finalité, sa durée, les critères essentiels de choix de la personne en charge.
Tuteur
Selon le dictionnaire des concepts clés de la pédagogie (ESF), le tuteur est un salarié de l’entreprise qui a pour fonction de faire acquérir (à l’apprenant) » les savoirs professionnels convenus, selon une progression déterminée », et d’être « la référence(de l’apprenant) dans l’entreprise ». Pour la Revue Recherche et Formation (n°22, 1996), le tutorat est « l’ensemble des activités mises en oeuvre par des professionnels en situation de travail en vue de contribuer à la production ou à la transformation de compétences professionnelles de leur environnement ».
Cette définition pré-suppose l’existence d’un corpus de savoirs professionnels, maîtrisés par le tuteur, qu’il s’agit de transférer à des salariés en alternance, jeunes ou adultes, ou à des salariés en professionnalisation.
L’objet du tutorat, c’est donc avant tout l’acquisition de compétences à partir de la formation en situation de travail. Les compétences visées sont généralement explicitées, et évaluées, soit au travers d’un référentiel de certification (pour les jeunes en alternance, par exemple), soit via un référentiel de formation, ou simplement une fiche de poste.
Sa finalité, c’est d’amener la personne accompagnée à résoudre en autonomie les problèmes rencontrés au travail. Le tuteur ne se limite pas à la figure du « compagnon »: dans les contextes fortement évolutifs, lorsqu’il s’agit plus de se doter de stratégies d’actions que d’appliquer des recettes toute faite, il se rapproche de la figure du mentor ou du coach, ainsi que l’a montré Bernard Masingue (Seniors tuteurs, comment faire mieux, voire à ce sujet un billet précédent).
La durée du tutorat est pré-déterminée, dans le cadre d’un contrat d’apprentissage, d’une période de professionnalisation ou d’intégration.
Les critères de choix d’un « bon tuteur » seront la maîtrise des savoirs professionnels de référence, ainsi bien sûr que des compétences en communication et un savoir faire pédagogique.
Mentor
Le mentor est décrit par Baugh et Scandura (1999) comme « un individu plus expérimenté qui a réussi à l’intérieur d’une organisation, et qui procure un soutien, relatif au déroulement de carrière, à un individu moins expérimenté ». Kram (1983,1985) distingue deux rôles du mentor : le développement de carrière et le soutien psychologique. Elle soutient que la relation est d’autant plus profitable que le mentor couvre ces deux rôles.
Dans les pratiques les plus contemporaines, le mentoring va bien au-delà de la « protection » d’un aîné envers un plus jeune. En témoignent les pratiques de grandes entreprises comme 3M , Procter§Gamble, IBM et Whirpool, analysées par Susan Wills Amat dans sa thèse « Cultivating Innovation : the role of mentoring in the innovation process » (Université de Miami, 2008). Cette évolution du concept est bien expliquée dans l’ouvrage de P. Angel et D. Cancellieri-Decroze « Du coaching au mentoring » (Armand Colin 2011).
Aujourd’hui, la variété des pratiques fait émerger les caractéristiques suivantes :
Objet
Le champ du mentoring, et sa pratique sont multiformes : son objet même est la relation qu’il instaure.
Le mentoring peut porter sur du partage de connaissances (par exemple au sein de la communauté scientifique de 3M), du support pour promouvoir une idée en interne en dehors de la ligne hiérarchique, de l’accompagnement au changement (le passage à une culture « centrée sur le client » chez Procter§Gamble) , du conseil sur des aspects professionnels ou sur l’équilibre vie professionnelle/ vie privée, de l’accompagnement sur des transitions professionnelles. Le mentor partage ses propres expériences, aide à décoder les situations, à faire des choix…
L’apparition du mentoring dans les Sociétés est souvent liée à la promotion de la diversité : sur 30 femmes scientifiques employées dans l’industrie interrogées par Catalyst, une association états-unienne pour la promotion des femmes dans les fonctions corporate, plus de la moitié reconnaissent que leur mentor les a aidées dans leur progression jusqu’au niveau Corporate. Elles pointent le défaut de mentoring comme une barrière clé pour la progression des femmes dans le monde de la science (Today’s chemist at work, March 2003). L’effet majeur du mentoring leur paraît être « de comprendre et de naviguer dans les aspects politiques du corporate ». Pour amener plus de femmes en position de management hiérarchique, Procter and Gamble a créé le programme « Mentor Up » : des femmes de niveau « cadre moyen » ont été nommées mentor d’hommes « cadres supérieurs », sur des sujets relatifs à la diversité. Le résultat de ce programme, lié à d’autres actions, a été de plus que tripler le nombre de femmes au niveau « general manager/ vice president » entre 1992 et 1997.
L’un des rôles du mentoring est de réguler les émotions, de donner une soupape de sécurité pour éviter les surtensions (P. Angel et D. Cancellieri-Decroze).
Finalité
Au final, il s’agit de « créer du lien social pour améliorer le bien-être des individus et le fonctionnement de l’entreprise » (P. Angel et D. Cancellieri-Decroze).
Mais le mentoring participe aussi fortement à une « culture d’apprenance » : il s’agit de générer « une dynamique, un flux qui (…) élargit le savoir et les capacités de tous à partir du capital de savoir et de savoir faire de chacun » (P. Angel et D. Cancellieri-Decroze) : le mentoring suppose la réciprocité des échanges, l’enrichissement mutuel. Ainsi, le glossaire du Business Mentor Center, « Vocabulary for Mentoring, Coaching and Induction » précise que le processus de mentoring « est un processus de développement dans lequel le mentor et son protégé s’engagent à travailler et apprendre ensemble pendant au moins deux ans aux fins d’un support mutuel pour leur développement professionnel ».
Chez Nokia India, le concept de « reverse mentoring » (mentoring inversé) a été introduit en 2010, afin de contribuer à « rafraîchir les perspectives sur de nouveaux domaines comme les media sociaux, les services à valeur ajoutée et le segment des jeunes consommateurs » (The Economic Times, 9/10/2010).
A la différence du tutorat, qui vise des savoirs précisément identifiés, ou du coaching, qui vise l’atteinte d’un objectif professionnel, « le mentoring ne se propose pas un but immédiatement formalisé (…). Il recherche en priorité le mieux être des individus, sans afficher d’objectif utilitariste ou de terme précis » (P. Angel et D. Cancellieri-Decroze).
Durée
Le mentoring ne s’inscrit pas dans un projet à terme pré-fixé, il vise à instaurer une relation de confiance qui s’épanouit dans le temps et perdure, souvent de manière très informelle.
Critères essentiels
Une expérience éprouvée de sa fonction et de l’entreprise, un réseau, mais aussi une excellente capacité d’écoute.
Coach
Le coaching est « l’accompagnement de personnes ou d’équipes pour le développement de leurs potentiels et de leurs savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels » (Société Française de Coaching).
Objet
« Le coaching est orienté en fonction d’un objectif, celui d’aider un « coaché » dans sa démarche professionnelle » (P. Angel et D. Cancellieri-Decroze).. Sa cible est le développement des compétences et des ressources de l’individu, ou de l’équipe (Source Cegos). Dans la littérature états-unienne, le coaching est une relation interpersonnelle qui inclue la fixation d’objectif, et l’élaboration de plans de performance.
Cette focalisation sur les compétences professionnelles rapproche le coach de la figure du « tuteur de stratégies d’actions », définit par Bernard Masingue(rapport pré-cité) comme s’opérant dans un contexte évolutif ou aléatoire, et s’intéressant « à l’adaptation des pratiques sans pour autant être prescriptif sur les modalités à mettre en oeuvre ».
Finalité
Il s’agit d’aider l’individu à développer son autonomie dans la tenue de son rôle professionnel. A la différence du mentoring, « l’impact business » de la relation est privilégiée: le coaching est orienté résultats.
Durée
Le coaching s’inscrit dans le cadre d’un contrat, qui prévoit une échéance et des « résultats susceptibles d’être évalués » (P. Angel et D. Cancellieri-Decroze).
Critères essentiels
Le cœur de compétences du coach est d’aider son client à élaborer ses propres solutions.
Dans l’approche française (Société Française de Coaching) le coach s’appuie sur une pratique professionnelles, intégrant des grilles de lecture, des méthodes, sur son « cadre de référence exprimé par l’ensembe les savoirs professionnels et compétences techniques, la culture professionnelle liée au coaching et aux domaines qui s’y rapportent », et aussi sur son identité professionnelle.
Toujours dans cette approche (Société française de coaching, référentiel de compétences), le coach dispose de références théoriques. Il a fait un travail sur soi, et travaille ses pratiques et sa posture en supervision.
Dans la littérature anglo-saxonne, il est souvent fait référence au coaching comme un rôle du manager vis à vis de son subordonné immédiat, visant à « développer des compétences qui sont attendues à la fois du manager (on attend de lui qu’il aide son collaborateur à être davantage contributif) et du subordonné (qui recherche l’approbation et la guidance de son manager) (Orthland, Wilkinson and Benfari). Dans cette approche, le coach a une relation de proximité avec la personne accompagnée.
Les situations de recours au coaching et au mentoring peuvent être similaires (transition professionnelle, gestion du stress et des émotions par exemple), mais le « cadre contractuel » et la posture de l’accompagnant sont différents.
Après cette tentative de clarification, voici une partie des questions qui se posent :
- Quelles sont les formes d’accompagnement dont ont besoin les salariés (de ce service, dans cette situation) ? Quels sont les critères qui vont induire le recours à une forme d’accompagnement plutôt qu’à une autre : l’ancienneté dans l’emploi ? le degré et la nature des responsabilités exercées ? l’appartenance à une catégorie visée par la politique »Diversité » ? la période de la vie professionnelle ?
- Jusqu’à quel point faut il formaliser la relation d’accompagnement ? Trop de formalisme (les fiches de suivi, voire d’émargement, le suivi du temps passé, les compte rendus…) ne risque t’il pas de tuer la relation, d’appauvrir les apprentissages ?
A suivre…
30 août 2011 | Ecrit par Mathilde Bourdat
http://www.formation-professionnelle.fr/2011/08/30/tuteur-mentor-coach-quelques-definitions/
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