La théorie de l’évolution ne cesse d’évoluer avec des ajouts, des précisions, des hypothèses inédites, se greffant progressivement à l’édifice théorique dès que les laboratoires livrent des connaissances nouvelles. Parfois, des découvertes majeures offrent un champ immense aux hypothèses théoriques en donnant des éléments tangibles permettant de solidifier la conception de l’évolution, trouver des ressorts expliquant la spéciation, fournir des éléments permettant une meilleure vue des embranchements phylogénétiques. L’identification des gènes fait partie de ces grandes découvertes ayant engendré un regard nouveau sur le vivant et surtout, son évolution. Ainsi, la cladistique, spécialité qui a supplanté la taxinomie et la systématique, tente de tracer l’arbre complet des embranchements dont la résultante est la totalité des espèces observées sur la planète. Elle met à profit les analyses de la génétique qui, avec des méthodes statistiques, donne une image assez précise des parentés entre les différents génomes. La génétique des populations est mise à profit par les évolutionnistes. On comprend pourquoi la philosophe des sciences Evelyn Fox-Keller a intitulé son essai sur la biologie « le siècle du gène ». Le 20ème siècle a effectivement été le siècle du gène, au même titre que le 19ème aurait pu être désigné comme le siècle de la thermodynamique, ou de l’entropie si on veut. Le gène est devenu l’objet épistémologique central de la biologie.
L’étude des différences génétiques a introduit quelques modifications dans l’arbre classique issu de la taxinomie. Mais sur le fond, rien n’a été bouleversé. Deux espèces issues d’une très vieille bifurcation sont censées posséder des génomes présentant des différences accentuées, alors que deux autres espèces dont la séparation est récente ont des génomes assez similaires. L’exemple le plus cité étant celui du singe et de l’homme, espèces partageant 98.5 % de génome commun, et dont la spéciation depuis l’ancêtre commun ne date que de quelques millions d’années, c’est-à-dire peu de choses, rapporté à l’évolution complète du vivant. Une souris reste plus proche de l’homme que le vers nématode. Les parentés moléculaires tracées par la phylogénie moléculaire ne font que refléter les similitudes phénotypiques décelées par les méthodes taxinomiques classiques. Peu de divergences apparaissent. La phylogénique moléculaire a pour principe d’analyser les similitudes que montrent les macromolécules du vivant lorsqu’on les extraits à partir de matériel prélevé sur les différentes espèces. Protéines, ARN et gènes sont utilisés par la phylogénie moléculaire mais ce sont les gènes qui occupent une place centrale. Cette place leur a été accordée par la communauté scientifique suite à la découverte de la molécule d’ADN et de l’étude des gènes qui s’en est suivie, avec la découverte du lien entre un gène et un produit essentiel dans la physiologie cellulaire, la protéine. Un gène, un ARN, une protéine, tel fut le dogme central de la biologie moléculaire héritée des années 1970. L’efficacité des techniques de séquençage a contribué à l’âge d’or de la génétique, une période marquée par le séquençage du génome humain et de celui d’autres espèces. Les maladies dites génétiques et les empreintes génétiques ont fait passer le génome et ses gènes dans le domaine public. Mais la génétique soulève des questions essentielles sur la vie et son évolution. Actuellement, des bouleversements sont envisageables. Le gène risque d’être détrôné du piédestal où les généticiens l’ont placé.
L’un des points centraux en sciences du vivant, c’est la rencontre entre la théorie de l’évolution et la génétique. L’investigation scientifique se focalise sur la sélection naturelle et le profil génétique des espèces en prenant pour cible épistémologique cet objet fascinant qu’est le « gène ». La théorie synthétique de l’évolution propose depuis cinq décennies le concept d’une nature qui, jouant sur le triptyque mutation, recombinaison, sélection, finit par sélectionner au sein d’une espèce un patrimoine constitué des milliers de gènes possédant chacun un rôle spécifique dérivé, c’est-à-dire lié au produit de l’expression nucléaire (via les ARN) et de la traduction. L’évolution repose sur une combinaison de gènes dont les mutations sont retenues si elles sont avantageuses du point de vue sélectif. Les initiateurs de cette conception ont associé, au début du 20ème siècle, les acquis de la génétique mendélienne au cadre darwinien. La théorie dite synthétique ou néo-darwinienne fut élaborée dans la seconde moitié du 20ème siècle.
Jusque dans les années 2000, la biologie a centré ses études sur le principe réductionniste accordant au gène un rôle central. Ce principe a été poussé dans ses retranchements philosophiques par Richard Dawkins, concepteur de la thèse du gène égoïste. Cette philosophie de la vie, si elle n’est pas partagée par l’ensemble de la communauté scientifique, a au moins servi de principe heuristique devenu ordinaire dans la conduite des recherches génétiques. La vision génocentrique a dominé la biologie pendant près d’un demi-siècle. Si Le hasard et la nécessité de Monod fait office de « bible » du matérialisme moléculaire, alors Le gène égoïste est lui aussi une « bible » pour la génétique réductionniste de la fin du 20ème siècle. En poussant la vision aux extrêmes, on peut imaginer les gènes comme des entités quasi-magiques se servant des espèces pour se perpétuer. Ils seraient ainsi les unités moléculaires sélectionnées et même les bénéficiaires du grand jeu de la sélection naturelle. Sans aller jusqu’à cette conception, les gènes ont acquis une place centrale dans l’évolution dont ils constituent un des ressorts fondamentaux. Les évolutionnistes ont orienté leurs recherches en misant sur la génétique des populations. Le principe est simple, les séquences des gènes codant pour une protéine varient d’autant plus que les espèces ont divergé dans le temps. Par exemple, le gène humain codant pour l’hémoglobine est plus proche du gène homologue chez le singe que chez le poisson. Mais au fait, qu’est-ce qu’un gène ?
Le gène, cet objet épistémologique aux contours variables
Le gène n’est pas un objet ordinaire, aux contours nets, aux propriétés définitivement connues et assignées. C’est au contraire un objet épistémologique dont les définitions et propriétés ont évolué dans le temps. A suivre...
par Bernard Dugué(son site) mardi 30 août 2011
http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/evolution-et-siecle-du-gene-99781
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