lundi 29 août 2011

En Tunisie, les désillusions d’une révolution

  • À deux mois de l’élection d’une Assemblée constituante, le 23 octobre, les Tunisiens s’impatientent, car leur quotidien ne s’améliore pas. Le chômage continue de progresser et la croissance ne devrait pas dépasser 1,5 %  
  • Les familles de victimes attendent plus de justice

Le 15 août dernier, des milliers de personnes ont de nouveau manifesté dans les rues de Tunis, pour réclamer une « nouvelle révolution », « la chute du système », « une justice indépendante », ou encore une Tunisie débarrassée des « voleurs ». Des revendications aussi nombreuses que les inquiétudes, les désillusions et les frustrations qui gagnent la société, plus de sept mois après la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali.
 
« Rien n’a changé, déplore Mohamed Aymen, 30 ans, vendeur dans un souk de la médina de Tunis. On n’arrive pas à payer l’électricité, le téléphone et le loyer, avec nos salaires de misère ».
 
Ces difficultés ne devraient pas s’arranger. En 2011, la croissance de l’économie tunisienne ne devrait pas dépasser 1,5 %, après avoir régressé de 3 % au premier semestre. Résultat : le pays a dépassé le seuil des 700 000 chômeurs, soit 19 % de la population active, contre 14 % fin 2010. Parmi eux, quelque 170 000 diplômés du supérieur.
 
 
Situation difficile
 
Leïla Akkar en fait partie. « J’ai 29 ans et je n’ai rien fait dans ma vie », dit cette jeune diplômée en génie civil en 2007 qui patiente, les yeux dans le vide, dans un bureau de la municipalité de Tunis. Elle est venue pointer pour continuer à percevoir ses 200 dinars mensuels (environ 100 €), l’allocation aux diplômés chômeurs mise en place par le gouvernement provisoire pour encourager la « recherche active d’emploi ». Mais elle n’a guère d’espoir d’en trouver un rapidement. « Il n’y a que le piston qui fonctionne », affirme-t-elle.
 
En cette période de Ramadan, qui voit généralement la consommation augmenter de 30 %, les prix grimpent. Le kilo de poivrons, habituellement vendu un dinar (0,5 €), atteint 1,8 dinar (0,90 €). Le prix des figues a presque doublé.
 
Certains produits, comme l’eau minérale, viennent même à manquer dans les rayons des supermarchés. Une situation inadmissible, pour Asma Ben Fredj, une retraitée. « 5 dinars le litre d’huile d’olive, ici chez nous, dans notre pays. Vous vous rendez compte ! », s’emporte-t-elle.
 
 
Justice
 
Les Tunisiens réclament aujourd’hui justice. Après le décès de son frère, tué par balle au cours d’une manifestation à Tunis, le 13 janvier, Lamia Farhani a créé l’Association des familles des martyrs et des blessés de la révolution. « L’auteur du coup de feu est un agent de police, clairement identifiable sur une vidéo, raconte la jeune femme. J’ai pourtant dû mobiliser tous mes contacts, organiser des manifestations et rencontrer le premier ministre pour qu’il soit arrêté, le 18 mai ».
 
Elle se prépare désormais au procès. « Le ministère de l’intérieur et le syndicat des policiers font tout pour que les agents ne soient pas jugés, dit-elle. Ils disent qu’ils n’ont fait qu’exécuter des ordres ».
 
L’association qu’elle préside tente aussi d’apporter une aide matérielle et psychologique. « Des personnes blessées pendant la révolution ont besoin d’une prise en charge à l’étranger, explique-t-elle, mais les autorités les abandonnent ». Ils ont pour l’instant reçu une « tranche d’indemnisation » de 3 000 dinars (1 500 €).
 
Les familles des « martyrs » ont quant à elles obtenu 20 000 dinars (10 000 €). Une somme « dérisoire au regard du préjudice subi », que la famille de la jeune femme a refusée, en signe de protestation. Aujourd’hui, Lamia Farhani pose un regard amer sur un geste qu’elle juge sans effet. « Les autorités s’en fichent, que tu prennes l’argent ou pas », dit-elle.
 
La demande de justice concerne aussi les tenants du système. Les procès par contumace de l’ancien président, réfugié avec son épouse en Arabie saoudite, laissent les Tunisiens sur leur faim. « Ces procédures sont un écran de fumée, dit Salah Belgacem, un libraire 63 ans. Ben Ali ne reviendra jamais et les sentences ne seront jamais appliquées. Il doit bien rire de nous ».
 
 
« Le système reste le même »
 
Le départ vers la France, début août, de Saïda Agrebi, une personnalité du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti unique, est apparu comme une preuve supplémentaire du laxisme du gouvernement, accusé de ne pas en faire assez pour obtenir l’extradition de l’ancien couple présidentiel.
 
« Les puissants sont toujours là, certains proches du régime continuent de mener leurs affaires en toute impunité », déplore Mohamed Aymen. Pour lui, « il n’y a pas de démocratie en Tunisie. On a changé les individus mais le système reste le même ». Un dépit qui explique sans doute la faible mobilisation pour s’inscrire sur les listes électorales, en vue de l’élection de l’Assemblée constituante.
 
Les bureaux ont eu beau rester ouverts plus longtemps que prévu, seuls 55 % des 7 millions d’électeurs potentiels se sont fait enregistrer. L’instance indépendante pour les élections a finalement annoncé que la carte d’identité suffirait pour voter, se résignant à utiliser les données du ministère de l’intérieur, en charge de l’organisation des élections sous l’ancien régime.
 
Mohamed Aymen ne pense pas se déplacer, le 23 octobre. « Voter ne changera rien, dit-il. Les partis ne pensent qu’à se faire élire ».
 
Camille Le Tallec, à Tunis
 
28/8/11 - 17 H 36 mis à jour le 28/8/11 - 17 H 36

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