samedi 27 août 2011

Et maintenant ... les agences de notation universitaire

Les établissements d’enseignement supérieur, universités et grandes écoles, sont notés annuellement par de nombreux organismes. Parmi les classements qui ont une couverture mondiale, le plus célèbre est celui établi depuis 2003 par l’université Jiao Tong de Shanghai. Il a été publié le 15 août dans sa version 2011.


Le parallèle entre ces « agences de notation universitaire » et les agences de notation financière s’impose. En effet, quoique leurs domaines d’intervention respectifs, la finance et l’enseignement supérieur, soient de nature très différente, elles ont en commun d’avoir réussi à prendre une position normative sur des sujets à forte connotation publique, tels que les dettes souveraines ou l’enseignement supérieur, et ceci à l’échelle mondiale. Au départ juges autoproclamés, elles ont accru leur audience et leur autorité grâce au concours des entités qu’elles évaluent, Etats ou établissements d’enseignement, qui leur ont conféré des reconnaissances officielles (réglementation bancaire « Bâle 2 » pour les agences financières) ou se sont soumis avec empressement à leurs exigences et critères d’enquête.

Si l’on en juge par les échos dans les médias et par les effets à court terme, les classements académiques sont loin d’avoir l’influence des notations financières. Si par contre on oublie un peu le bruit médiatique pour s’intéresser aux effets en profondeur, les classements universitaires devraient au contraire retenir toute notre attention. Non pas parce que la France y occupe un rang modeste (avec 21 établissements classés dans le « top 500 » de Shanghai, la France figure au 8ème rang mondial en 2011 ; elle était au 5ème rang en 2009), mais parce que la méthodologie de ces classements détermine désormais les choix de nos gouvernants en matière d’enseignement supérieur.

Les « agences de notation universitaire » sont à la fois l’expression et un puissant moteur de l’alignement progressif des établissements d’enseignement supérieur sur ce que nos gouvernants semblent considérer comme une norme impérative. Valérie Pécresse, alors Ministre de l’enseignement et de la recherche, a ainsi déclaré : « (On) a rappelé que le classement de Shanghai était certes critiquable mais que puisqu'on ne pouvait changer les indicateurs dont nous n'étions pas maîtres, il valait mieux les retourner en notre faveur. Lorsqu'ils choisissent leur future université, les étudiants américains, australiens, chinois, indiens regardent ce classement. C'est la mondialisation. On ne peut s'en abstraire et nous devons donc gagner des places. ». Il y a lieu d’être interloqué : nos gouvernants ont décidé que nous devions nous conformer à des critères « dont nous ne sommes pas maîtres » alors même que ces critères sont « critiquables ». On reste confondu par tant de force d’âme.

Le lien établi par notre ministre entre la notation universitaire et la mondialisation est emblématique du climat ambiant. S’il est pourtant un domaine dans lequel on devrait pouvoir s’affranchir largement des contraintes de cette mondialisation que l’on nous sert à toutes les sauces, c’est bien celui de l’enseignement. Nos gouvernants ont décidément une stupéfiante propension à nous faire avaler toutes les potions mitonnées par les gourous du mirage ultralibéral.

Les responsables politiques ne sont pas les seuls à succomber à cette fascination. Dans le Nouvel Economiste du 8 juin 2011, un responsable de l’Aderly, agence chargée d’attirer les entreprises sur le site du Grand Lyon, déclare que « le classement de Shanghai est plus ou moins apprécié, mais il reste une référence (…) Avec 120.000 étudiants, il est logique que notre projet convainque ». Pourquoi pas 1.200.000 ? ce serait tellement mieux …

Voyons maintenant quels sont les critères du classement de Shanghai sur lesquels nos établissements d’enseignement supérieur devraient s’aligner :

• nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les anciens élèves ;

• nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les chercheurs ;

• nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines ;

• nombre d'articles publiés dans Nature et Science ;

• nombre d'articles indexés dans Science Citation Index, et Arts & Humanities Citation Index ;

• performance académique (somme, pondérée par des coefficients, des cinq indicateurs précédents, divisée par le nombre de chercheurs).

On notera que tous ces critères, à l’exception du dernier, favorisent mécaniquement les méga établissements : plus on est gros, meilleur on est, les dinosaures apprécieront. Cette prime au gigantisme est déroutante, mais la réduction de la vocation de l’enseignement supérieur aux fonctions de recherche l’est encore plus. Peut-on vraiment juger nos établissements d’enseignement supérieur, comme le fait le classement de Shanghai, selon le nombre de prix Nobel dans leur corps enseignant et l’abondance de leurs publications de recherche en langue anglaise ? Nos universités vont-elles devoir à fonctionner comme des clubs de football et recruter des stars à l’étranger, à grands frais mais sans charge de travail réelle, à seule fin d’améliorer leur score ?

Avant d’être ainsi édifiés, on pouvait penser que le rôle d’un établissement d’enseignement supérieur se déclinait en trois composantes principales :

- donner une formation, initiale et continue, offrant les meilleures chances de trouver un emploi et d’évoluer favorablement dans sa vie professionnelle ;

- offrir à tous ceux qui le souhaitent l’accès au savoir dans un large éventail de discipline ;

- pour une partie des étudiants accédant aux cycles supérieurs, participer à des actions de recherche, au côté des organismes spécialisés en la matière.

Les conditions d’accès aux établissements et notamment le coût des études ne sont en aucune façon pris en compte par le classement de Shanghai, ce qui traduit un désintérêt total pour la « démocratisation » de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, on n’y trouve aucune référence à l’insertion professionnelle des étudiants en sortie d’université. Il faut donc supposer que ces questions sont anecdotiques ou vulgaires.

On pourrait se contenter de rire de tout cela si nos gouvernants ne faisaient pas allégeance à ce nouveau dogme. C’est ainsi qu’en France, aujourd’hui, il est consacré plus de discours et de projets à la promotion de quelques « pôles d’excellence » universitaires qu’à la réussite et à l’insertion du plus grand nombre.

Le successeur de Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, ne semble pas près d’infléchir cette politique si l’on en juge par cette déclaration : « Wauquiez veut des campus d’excellence internationaux » (Le Figaro du 20 juillet 2011 ; on appréciera au passage la formulation en mode « moi je veux », si prisée par certains de nos ministres). Il s’agit de « redonner à la France la place qui est la sienne dans un monde qui a complètement changé (…) et d’affronter la mondialisation et la concurrence internationale ».

Dans un contexte budgétaire où les moyens globaux alloués à l’enseignement et à la recherche sont, au mieux, en stagnation (si l’on oublie les artifices de présentation qui mélangent allègrement les dépenses réelles, les transferts de charges, les crédits d’impôt, les partenariats public-privé, …), le développement des « pôles d’excellence » ne peut se faire qu’au détriment des autres filières : réduction des moyens financiers disponibles pour les autres niveaux (primaire, secondaire), création d’une fracture dans le système universitaire : supposition d’excellence pour les uns, soupçon de « médiocrité » pour les autres.

La réalité à affronter les yeux ouverts est que l’immense majorité des jeunes a le plus grand mal à accéder à un premier emploi durable. Chaque année depuis 40 ans, l’âge de début d’activité a été majoré de 1,4 mois, avec en prime une précarisation croissante des premiers emplois. Le débat sur l’équilibre des caisses de retraite s’est concentré sur la question sur l’âge de cessation d’activité, en évacuant à peu près totalement celle du début d’activité. Double frustration : celle des jeunes impatients de devenir autonomes et celle des « vieux » impatients, pour la plupart, de se libérer des contraintes de la vie professionnelle.

Notre système d’enseignement n’est évidemment pas seul en cause dans ces évolutions, mais il a un rôle essentiel à jouer pour donner à chacun un bon bagage culturel, et le goût de le développer, ainsi qu’une formation permettant à chacun de trouver sa place dans le monde du travail et de s’y maintenir. La formation de tous, initiale et continue, devrait avoir plus d’importance que l’élevage intensif de quelques champions, mais il est plus facile de dépenser de l’argent pour dorer sur tranche quelques « pôles d’excellence » que de s’attaquer aux « fractures sociales ».

On aurait d’ailleurs tort d’escompter que cette « excellence » présumée profite pleinement au corps social. Les contraintes financières de la recherche publique réduisent nombre de docteurs ou doctorants au chômage. Beaucoup aussi se détournent spontanément des filières pour lesquelles ils ont été formés à grands frais, au profit de certaines activités à hauts revenus. La France n’est pas seule dans ce cas. Le magasine allemand « Die Zeit » a ainsi pu parler, à propos de « l’initiative d’excellence allemande » « d’usines à docteurs sans perspective : nous avons formé toutes ces personnes pour qu’elles partent à l’étranger ». Le journal Le Monde, dans son édition du 15 août 2011, évoque la situation des instituts indiens de technologie, prestigieux et hautement sélectifs, qui voient s’envoler leurs diplômés : « la voie royale est celle de la finance, si possible aux Etats-Unis, là où les salaires sont les plus élevés ».

Tout cela pourrait conduire à penser que la nocivité des agences n’est pas en rapport avec leur médiatisation. Les agences de notation universitaire font moins de bruit mais plus de mal que les agences de notation financière. Les agences financières disent avec éclat, et généralement avec retard, ce que l’on sait - ou devrait savoir - déjà et que l’on feint de découvrir. Les agences académiques pervertissent à la racine en contribuant à dévoyer les pratiques de l’un des fondements culturels de nos sociétés : le système d’enseignement.

par scripta manent vendredi 26 août 2011

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