En prônant un encadrement, voire une censure des réseaux sociaux mis en cause dans les émeutes anglaises, le Premier ministre britannique David Cameron pense-t-il vraiment que sa proposition est réalisable ?
ATLANTICO David Cameron a déclaré devant les députés britanniques qu’il envisageait d’aller jusqu’à bloquer certains réseaux sociaux. Est-ce possible ?
Benjamin Bayart : Il va avoir plusieurs problèmes, légaux et techniques. Légalement, justifier d'interrompre des communications interpersonnelles, ce n'est pas simple. Je ne suis pas un expert du droit britannique, mais obtenir une base légale pour interdire aux gens de discuter entre eux est assez compliqué. L'Angleterre est un Etat de droit.
D’un point de vue technique, je ne vois pas bien ce qu'il va interdire. Comment empêcher des émeutiers de discuter via Twitter ou des messageries sans paralyser l'ensemble des communications mobiles ? S'il arrive effectivement à empêcher les utilisateurs de téléphones portables de discuter sur Twitter, c'est l'ensemble des possesseurs de téléphones portables en Grande-Bretagne qui sont touchés. Techniquement, c'est relativement simple : il faut obtenir un accord des fournisseurs d'Internet mobile pour qu'ils bloquent le domaine Twitter.com.
Est-ce que ce serait légal ?
Ce n'est pas clair. S'il veut une décision légale, il lui faut l’accord d'un juge. C'est très compliqué à obtenir car je ne vois pas dans quel contexte il pourrait le demander. En revanche, qu'il obtienne l'aide des opérateurs privés qui, eux, décident de bloquer le domaine, c'est autre chose : il s'agit de faire en sorte que les opérateurs de téléphonie mobile le filtrent de leur propre initiative. A moins que des associations ne décident de porter plainte, il ne se passerait alors pas grand chose.
Mais en agissant de la sorte, les opérateurs risqueraient de perdre des clients…
Pas sur quelques jours. S'ils décidaient de fermer l'accès à Twitter ou Facebook depuis les téléphones mobiles pendant une semaine, il n'y aura pas 10 millions de clients qui changeront d'opérateur dans la semaine. Par contre, ils peuvent se retrouver face à des plaintes, qui seront instruites, et qui pourront déboucher sur des jurisprudences. Et il y a de grandes chances pour que la jurisprudence dise qu'un opérateur n'a pas le droit de couper les conversations de ses clients. C'est prendre un risque assez sévère pour un effet dont on est à peu près certain qu'il sera nul.
Pendant les révolutions arabes, les démocraties occidentales ont dénoncé le blackout imposé sur Internet en Tunisie ou en Egypte. N’est-ce pas contradictoire ?
Cela me rappelle les prises de position d'Hillary Clinton, qui trouve scandaleux que la Chine ou la Corée du nord veuillent interdire des sites web, mais qui n'a pas de problème à faire interdire WikiLeaks sans passer par un juge. Ils sont pour le respect de l'Etat de droit quand ça les arrange. Ca devient un problème d'honnêteté intellectuelle.
Les positions sur ces sujets sont fondamentalement idiotes. Comme lorsqu'Eric Besson voulait faire fermer l'hébergement de WikiLeaks en France, avant de mettre du temps à se rendre compte qu'il s'agissait d'une grosse bêtise : le dossier a été très vite enterré.
On est habitué aux déclarations tonitruantes de ministres qui expliquent qu'ils ne vont pas respecter l'état de droit. Cependant, même le ministre le plus incompétent sait qu'il ne peut pas faire n'importe quoi. Mais ça ne l'empêche pas de le dire à la presse.
Les déclarations de David Cameron seraient donc essentiellement à des fins d’affichage ?
Qu'est-ce qui sépare l'incompétence du mensonge électoraliste ? Ce n'est pas toujours clair. Est-ce qu’il ne connaît pas le sujet, ou qu'il veut faire un effet d'annonce ? C'est peut-être les deux à la fois. Que David Cameron ne soit pas un grand spécialiste des protocoles IP, je veux bien l'entendre. Mais qu'il n'ait dans son cabinet ou son entourage absolument personne pour lui expliquer les règles de base de la liberté d'expression, ça me paraît moins évident.
La police de New York serait en train de monter une unité spécialisée dans la surveillance des réseaux sociaux. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Non seulement cela ne me surprend pas, mais en plus cela ne me paraît pas non plus illégitime. La police a toujours traîné dans les milieux interlopes pour savoir ce qui s'y passait. Ce qui se passe sur Twitter est parfaitement public. Regarder ce qui se dit sur les groupes de discussions sur Facebook ne me paraît pas idiot de la part de la police. Tout le monde sait en France que Facebook est maintenant l'outil principal des Renseignements généraux.
Cependant, cela deviendrait illégitime à partir du moment où l'on en fait une surveillance systématique de la population avec fichage.
Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France, encore en exercice. Il est un des pionniers d'Internet en France
Publié le 16 août 2011
http://www.atlantico.fr/decryptage/cameron-reseaux-sociaux-internet-censure-164030.html
ATLANTICO David Cameron a déclaré devant les députés britanniques qu’il envisageait d’aller jusqu’à bloquer certains réseaux sociaux. Est-ce possible ?
Benjamin Bayart : Il va avoir plusieurs problèmes, légaux et techniques. Légalement, justifier d'interrompre des communications interpersonnelles, ce n'est pas simple. Je ne suis pas un expert du droit britannique, mais obtenir une base légale pour interdire aux gens de discuter entre eux est assez compliqué. L'Angleterre est un Etat de droit.
D’un point de vue technique, je ne vois pas bien ce qu'il va interdire. Comment empêcher des émeutiers de discuter via Twitter ou des messageries sans paralyser l'ensemble des communications mobiles ? S'il arrive effectivement à empêcher les utilisateurs de téléphones portables de discuter sur Twitter, c'est l'ensemble des possesseurs de téléphones portables en Grande-Bretagne qui sont touchés. Techniquement, c'est relativement simple : il faut obtenir un accord des fournisseurs d'Internet mobile pour qu'ils bloquent le domaine Twitter.com.
Est-ce que ce serait légal ?
Ce n'est pas clair. S'il veut une décision légale, il lui faut l’accord d'un juge. C'est très compliqué à obtenir car je ne vois pas dans quel contexte il pourrait le demander. En revanche, qu'il obtienne l'aide des opérateurs privés qui, eux, décident de bloquer le domaine, c'est autre chose : il s'agit de faire en sorte que les opérateurs de téléphonie mobile le filtrent de leur propre initiative. A moins que des associations ne décident de porter plainte, il ne se passerait alors pas grand chose.
Mais en agissant de la sorte, les opérateurs risqueraient de perdre des clients…
Pas sur quelques jours. S'ils décidaient de fermer l'accès à Twitter ou Facebook depuis les téléphones mobiles pendant une semaine, il n'y aura pas 10 millions de clients qui changeront d'opérateur dans la semaine. Par contre, ils peuvent se retrouver face à des plaintes, qui seront instruites, et qui pourront déboucher sur des jurisprudences. Et il y a de grandes chances pour que la jurisprudence dise qu'un opérateur n'a pas le droit de couper les conversations de ses clients. C'est prendre un risque assez sévère pour un effet dont on est à peu près certain qu'il sera nul.
Pendant les révolutions arabes, les démocraties occidentales ont dénoncé le blackout imposé sur Internet en Tunisie ou en Egypte. N’est-ce pas contradictoire ?
Cela me rappelle les prises de position d'Hillary Clinton, qui trouve scandaleux que la Chine ou la Corée du nord veuillent interdire des sites web, mais qui n'a pas de problème à faire interdire WikiLeaks sans passer par un juge. Ils sont pour le respect de l'Etat de droit quand ça les arrange. Ca devient un problème d'honnêteté intellectuelle.
Les positions sur ces sujets sont fondamentalement idiotes. Comme lorsqu'Eric Besson voulait faire fermer l'hébergement de WikiLeaks en France, avant de mettre du temps à se rendre compte qu'il s'agissait d'une grosse bêtise : le dossier a été très vite enterré.
On est habitué aux déclarations tonitruantes de ministres qui expliquent qu'ils ne vont pas respecter l'état de droit. Cependant, même le ministre le plus incompétent sait qu'il ne peut pas faire n'importe quoi. Mais ça ne l'empêche pas de le dire à la presse.
Les déclarations de David Cameron seraient donc essentiellement à des fins d’affichage ?
Qu'est-ce qui sépare l'incompétence du mensonge électoraliste ? Ce n'est pas toujours clair. Est-ce qu’il ne connaît pas le sujet, ou qu'il veut faire un effet d'annonce ? C'est peut-être les deux à la fois. Que David Cameron ne soit pas un grand spécialiste des protocoles IP, je veux bien l'entendre. Mais qu'il n'ait dans son cabinet ou son entourage absolument personne pour lui expliquer les règles de base de la liberté d'expression, ça me paraît moins évident.
La police de New York serait en train de monter une unité spécialisée dans la surveillance des réseaux sociaux. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Non seulement cela ne me surprend pas, mais en plus cela ne me paraît pas non plus illégitime. La police a toujours traîné dans les milieux interlopes pour savoir ce qui s'y passait. Ce qui se passe sur Twitter est parfaitement public. Regarder ce qui se dit sur les groupes de discussions sur Facebook ne me paraît pas idiot de la part de la police. Tout le monde sait en France que Facebook est maintenant l'outil principal des Renseignements généraux.
Cependant, cela deviendrait illégitime à partir du moment où l'on en fait une surveillance systématique de la population avec fichage.
Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France, encore en exercice. Il est un des pionniers d'Internet en France
Publié le 16 août 2011
http://www.atlantico.fr/decryptage/cameron-reseaux-sociaux-internet-censure-164030.html
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