lundi 22 août 2011

Tunisie, la révolution en suspens

En ce lundi de juillet, dans un petit théâtre de Tunis, ils sont quelques centaines, venus écouter les leaders du parti islamiste Ennahda («Renaissance»), qui est à la Tunisie ce que sont les Frères musulmans en Égypte... L'enceinte est pleine, il y a du monde à l'extérieur qui écoute, à travers un haut-parleur, les propos de Rached Ghannouchi, le leader revenu d'exil à la suite de la rébellion de janvier, cette «révolution du jasmin» (expression rare et critiquée en Tunisie même, malgré son succès chez les non-Tunisiens) qui avait tenu en haleine le monde entier, mais à l'origine de laquelle les islamistes étaient étrangers...

Les propos du chef sont banals: Ghannouchi n'est pas un grand orateur. Il parle de «valeurs», de «respect des traditions», de «refus de la violence» (des incidents ont eu lieu dans les jours précédents, avec des accusations visant les islamistes), mais aussi de «pluralisme» et de «tolérance». Lors de son retour d'exil londonien, début février, l'homme avait multiplié les déclarations apaisantes, se disant prêt à reconnaître les «acquis» tunisiens, notamment en matière de droits des femmes. Depuis, il sillonne le pays, avec de bons succès de foules.

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Trois jours plus tard, les partis «laïques» — une bonne dizaine de formations libérales ou de centre gauche, qui vont aux élections de l'automne en ordre dispersé — ont appelé à une grande manifestation «unitaire» contre la violence, eux aussi en réaction aux événements des semaines précédentes: des agressions (notamment contre un parti libéral, Afek Tounès, qui voulait organiser une réunion en province) dont on n'a jamais su exactement si elles étaient l'oeuvre d'éléments des services secrets, des islamistes, des communistes... ou d'une maléfique combinaison de tout cela!

Ils avaient annoncé «la plus grande manifestation de l'été»: ils ont réuni, au maximum, ce 22 juillet à midi, place du Passage, 2000, peut-être 2500 personnes. Malgré le couloir réservé par la police sur une grande avenue centrale. Malgré la publicité. Malgré les blogues et les journaux qui en avaient parlé abondamment...

Le lendemain, un symposium sur le thème «La société civile tunisienne en marche», dans un grand hôtel de la capitale, avec conférences de quatre intellectuels réputés... réunit exactement 27 personnes, dans un amphithéâtre qui pourrait en contenir dix fois plus. «De quoi avons-nous l'air?», s'exclame l'un des quatre orateurs.

D'où cette impression, dans la Tunisie languissante de l'été 2011, d'un désenchantement, d'une faible mobilisation des forces libérales et laïques, alors que les islamistes — sans créer de raz de marée — résistent mieux à la désaffection et à la suspicion ambiantes.

Début août, on apprenait qu'à peine 55 % des Tunisiens s'étaient rendus aux bureaux d'inscription, pour les élections du 23 octobre. Chiffre décevant, si l'on tient compte du battage publicitaire (affichage, radio, télévision, Internet) qui avait accompagné, tout au long du mois de juillet, cette campagne d'inscription dont la date butoir a dû être repoussée.

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Devant un verre de vin blanc, Mohammed, un responsable de la Croix-Rouge tunisienne, exprime un certain fatalisme: «Les islamistes ne valent peut-être que 20 % dans l'opinion. Mais au soir des élections, je ne serais pas étonné de les voir ramasser près du double de ce chiffre.» Pourquoi? Parce qu'ils sont organisés et unis, alors que les socialistes, libéraux, laïcs et autres avocats de la séparation entre religion et politique, seront incapables de taire leurs divisions et de faire «sortir le vote». Composition possible de la future Assemblée constituante de Tunisie: un gros tiers aux islamistes d'Ennahda, avec une nuée de groupuscules aux alentours...

Les blogues et forums de discussion font voir, en cette fin d'été, une montée d'agressivité entre les tenants du «respect des traditions», qui rejettent la «société athée», et les fermes partisans de la laïcité. Et parmi ces derniers, une division importante se fait jour, autour de la question: «Les islamistes sont-ils dangereux?» Certains pensent que oui, mais d'autres, comme l'ancien opposant laïque Moncef Marzouki, affirment au contraire que la meilleure façon d'obtenir, au final, les pires islamistes de nos cauchemars... «ce serait justement de les isoler et de les diaboliser».

Beaux débats en perspective...

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François Brousseau 

François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.

francobrousso@hotmail.com
 
22 août 2011
 

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